11 juillet 2018

Peter, un Malouin pour l’Histoire

By In Portrait

L’histoire a ses soubresauts. On les appelle les guerres. Peter est un enfant de la 2e Guerre mondiale et il en a porté les blessures. L’histoire a aussi des soubresauts en temps de paix. On les appelle les conflits sociaux. Le port de Saint-Malo a connu le plus long conflit social de la France des années 70. Peter en a été un combattant.

Peter a débarqué dans un Saint-Malo en ruines, en provenance de sa ville natale, Hambourg, ravagée par les bombes. C’était en 1946, il avait 10 mois. «  Ma mère ne parlait pas un mot de français. Elle est venue rejoindre mon père, qu’elle avait connu en Allemagne. «  Son père, Pierre, fils du dernier garde-suisse de la cathédrale malouine, a été fait prisonnier en 40, et a passé 5 ans outre-Rhin. Il y est tombé amoureux de la contre-maîtresse de l’usine hambourgeoise où il travaillait à la fin de la guerre. Pierre est rentré le premier en France. «  Puis ma mère a obtenu un laisser-passer, et est arrivée à Saint-Malo, après une semaine de voyage. »

L’accueil des Malouins

Une Allemande dans une ville meurtrie, un an après la fin du conflit, ça a dû être dur ? «  Pas du tout ! Elle a été accueillie à bras ouverts par mes grands-parents. Mon grand-père était pourtant un ancien poilu, et avait un caractère de cochon…Les voisins non plus n’ont pas fait payer à ma mère sa nationalité. C’était des gens formidables. » Pierre et Wilhelmine habitent dans une maison accolée à la Poste, et leur fils fait la joie de tous. La vie est sans luxe mais douce dans ce village qu’est l’intra-muros : la plage est à portée de main, et pour aller à l’école, dont la cour touche la maison familiale, Peter est passé par la fenêtre, des bras de sa mère à ceux de l’institutrice. Les dimanches d’été, il se rend avec son père et son grand-père à la mare aux canards, où ces passionnés de bateaux-modèles disputent des régates avec les maquettes qu’ils aimaient construire, et qui remportent souvent la compétition.

Face-à-face dans les tranchées

« J’ai été gâté, reconnait Peter. Par mes grands-parents paternels comme maternels, que je voyais de temps en temps : nous allions à Hambourg, et eux venaient à Saint-Malo. Mes deux grands-pères se côtoyaient et discutaient ». Ils n’avaient pas qu’un petit-fils en commun. « Ils avaient tous deux fait la 1ère Guerre mondiale. C’est comme ça qu’ils se sont rendu compte qu’ils avaient été envoyés sur les mêmes champs de bataille et que, pendant 3 ans, ils s’étaient fait face dans les tranchées ! Je n’étais pas bien vieux, mais j’ai compris dès ce moment-là que les guerres, c’est des conneries. »

Le départ

Tout a une fin, même les jours heureux. Il a fallu quitter l’intra-muros, en 1952 : la maison de Peter est vouée à la démolition, pour laisser place à un commissariat. La famille est relogée dans un baraquement, au Clos-Cadot, et Peter va à l’école à Rocabey. « Ce ne sont pas mes meilleurs souvenirs. On me traitait parfois de « sale boche », alors, à 8 ou 9 ans, j’ai demandé à changer de prénom. Mes parents ont compris, même si ma mère en a été affectée. Voilà comment je suis devenu Pierre, qui est la version française de Peter. Et pour me différencier de mon père et mon grand-père qui s’appelaient tous les deux Pierre, on m’a appelé p’tit Pierre. »

Et Pierre redevint Peter…

Même avec un nouveau prénom l’école, décidément, n’est pas faite pour p’tit Pierre. « Je ne m’y sentais pas bien. En 4ème, je venais en cours avec un sac dans lequel je fourrais mon tuba, mes palmes, mon masque, pour filer à la plage de l’Éventail dès la fin des cours. Je voulais travailler, alors à la fin de la 3ème, mon père m’a fait entrer au chantier naval Mougins, près de l’avenue Louis Martin, il était maquettiste. Je suis devenu chaudronnier, j’ai construit des chalutiers. » Et la fierté a pu revenir. La preuve: « J‘ai repris mon prénom de baptême. » Après le boulot, Peter file à l’Éventail. Mais pas pour aller plonger : collé à la porte Saint-Thomas, à l’extérieur des remparts, un bar accueille la jeunesse malouine. C’est une baraque blanche qui n’ouvre qu’aux beaux jours, tenue par le père Vendel. « Je ne sais pas si le bar avait un nom…on disait qu’on allait « chez Vendel ». On y jouait au flipper, au babyfoot; il y avait un jude box aussi, c’est là que j’ai appris à aimer Elvis Presley. »

Les yeux d’Yvonne

Les copains, le rock, les parties de baby, c’est bien. Mais les filles, c’est quand même autre chose. Surtout Yvonne. Elle aussi est une Malouine du large : fille d’une Servannaise, mais née en Afrique du nord. Peter l’a rencontrée à Saint-Servan. Il nettoyait des verres…« J’étais membre du club photo du foyer des jeunes, installé dans l’actuel théâtre. On m’avait demandé de donner un coup de main à une asso qui organisait une fête dans le foyer. Yvonne est entrée avec son oncle, j’ai été subjugué par ses yeux… » Yvonne ne le voit pas. Qu’à cela ne tienne : Peter est patient, passe par sa petite soeur pour approcher la demoiselle, l’invite au cinéma, la promène dans sa Simca 1000. Et l’épouse en 1973.

L’entrée en résistance

Le Malouin intègre le bureau d’études de l’entreprise -devenue SICCNa- après son service militaire. Il prend des cours du soir et passe un CAP de dessinateur, à 29 ans. Nous sommes en 1975 et Peter va apprendre qu’il y a aussi des batailles à mener en temps de paix, impitoyables, pour une certaine idée de la justice et de la dignité. La SICCNa licencie brutalement ses 450 employés. La ville est sous le choc. « On n’a pas accepté. On a occupé le Magellan, un thonier prêt à être livré. On s’est relayés jour et nuit bassin Vauban, où il était amarré devant la porte Saint-Louis. On a pris nos habitudes : mon père y allait le dimanche en journée, je prenais la relève le dimanche soir. Ma fille Kristell y a fait ses premiers pas, sur le pont. Des collègues se sont découragés, ont cherché ailleurs du travail. Pas nous : on a tenu 22 mois. » Le combat des Malouins est devenu le plus long conflit social de France, un symbole national de la résistance ouvrière. Les « SICCNa » reçoivent le soutien de leurs collègues des autres chantiers français. Gilles Servat écrit une chanson sur leur combat, et vient la chanter à Saint-Malo. La solidarité fait chaud au coeur, mais elle ne nourrit pas son homme. “Heureusement, les parents d‘Yvonne nous prêtaient un logement. On vivait avec le salaire de ma femme, qui travaillait à la Coopérative maritime.”

Quitter Saint-Malo?

Jai soutenu Peter autant que je le pouvais, acquiesce Yvonne. Il n’a jamais perdu espoir.” La ténacité paye : la SICCNa est rachetée par les Chantiers de la Manche, qui réintègrent les 200 salariés résistants. “ On a continué à faire ce qu’on savait faire, des thoniers, des chalutiers : le Bretagne destiné à Saint Pierre et Miquelon, la Grande Hermine…”

Un dépôt de bilan a signé la fin du chantier naval, en 1986. Peter s’est formé au dessin en bâtiment par ordinateur, lui qui a quitté l’école à 16 ans, ce qui lui vaut deux belles propositions d’emploi. “Mais il aurait fallu vivre ailleurs, à Poitiers ou Bain-de-Bretagne,” sourit Yvonne. Peter a fait la moue et puis il a dit non. Trop loin de la mer, il a dit. “Après une tentative à son compte, il a trouvé une place au service assainissement de la mairie et il a préféré terminer sa carrière là”.

Peter et Yvonne vivent depuis des années à la Briantais. L’intra-muros de la jeunesse? Il est “un peu loin, et on ne connaît plus personne. Tout a changé”. Enfin, pas tout. En période de grandes marées, quand la mer découvre les bancs de sable devant le Môle, vous pourrez rencontrer Peter. Il ne rate pas une occasion de pêcher la praire. Il y a des moments de bonheur qui ne se perdent pas.

texte Béatrice ERCKSEN / photos © Gérard CAZADE

pour tout savoir sur les gardes-suisses des églises : accesnomade.blog.lemonde.fr

La mare aux canards a laissé place au bassin Jacques Cartier. La retenue d’eau sur la plage de l’Éventail, un peu à gauche du fort national, s’appelle la mare aux cochons

10 commentaires
  1. Michel Morvan 11 juillet 2018

    A Péter
    Suis aussi de St malo et j ai fréquenté la mare aux canards, chez Vendel ses baby foot. …….

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    • beatrice 11 juillet 2018

      Peter en garde un souvenir ému…

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  2. ROBERT Bruno 11 juillet 2018

    Quel combat !!!… Heureusement il y a encore des hommes comme Peter pour mener les batailles d’aujourd’hui contre le manque de respect de la part du pouvoir en place vis-à-vis du monde du travail. Un peu d’humanisme Messieurs les « libéraux » !!!… S’il vous plait

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    • Peter LAURENT 11 juillet 2018

      Mais je n’étais pas tout seul hélas, 22 mois c’est long mais lorsque le chef mécanicien est monté à bord il a dit a son armateur : <<le moteur à été très bien entretenu, on peut même partir aujourd'hui" c'est la preuve que l'on respectait notre travail…

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  3. Alain Stéphan 11 juillet 2018

    Vague souvenir de cette grève de St Malo. En effet avec des amis (Martine et Saïd, ça doit t’évoquer des personnes Gérard le photographe de ce blog ) nous avons passé un week-end à St Malo et nous avons vu ce bateau occupé où les gars nous expliquaient sa capacité technique. J’en étais étonné car le filet était énorme i je me souviens bien.
    En tout cas très beau portrait de quelqu’un qui a foi en lui et en sa ville d’accueil, puis surtout cette démonstration de l’adage (Jaurès ? .) : « que la guerre est faite par des gens qui se connaissent au profit de gens qui se connaissent très bien « . Ce beau souvenir de ses grands-pères sur le même front mais de chaue coté… La vie est parfois cruelle et parfois elle donne vie à une belle histoire comme celle de Peter

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    • Peter LAURENT 11 juillet 2018

      Merci pour cette analyse concernant le « Magellan » et l’amitié de mes deux grands-pères…

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  4. yves marin 17 juillet 2018

    Bonsoir
    Superbe histoire d’un homme au parcours exemplaire comme celui de sa famille , il à eu la force de résister aux brimades pendant son enfance et de se battre pour préserver ses droits dans sa vie professionnelle . Un bel exemple ,de par son origine et sa ténacité pour entrer au patrimoine humain de Malouin SUIS Bienvenue au club Félicitations PETER
    Amitiés à la belle équipe

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    • beatrice 18 juillet 2018

      Bonjour Yves, c’est une belle histoire en effet, et nous sommes heureux d’en avoir eu connaissance et de l’avoir partagée. On espère que vous allez bien, l’ami du marin? Bien amicalement, Béa et Gérard

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  5. Michel Ribault 21 juillet 2018

    J’ai d’abord connu Peter dans les boums chez ses parents, puis le club photo, les rally +ou- culturel, et enfin Yvonne. Peter et yvonne sont, à ma connaissance, mes derniers amis d’enfance sur Saint Malo, beaucoup de souvenirs me reviennent à l’esprit, 100 pages n’y suffirait pas.
    Merci à Malouin suis de nous permettre de reprendre contact.

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    • beatrice 21 juillet 2018

      Si malouinsuis vous a permis de vous retrouver, on est heureux!

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