22 juillet 2017

Pascal le lamaneur

By In Portrait

Le port de Saint-Malo pénètre jusqu’au coeur de la ville et rien que de s’y promener relève de l’aventure. On y découvre toutes sortes de bateaux, vieux gréements, catamarans de course, navires de commerce, qui sont une perpétuelle invitation au voyage. On y entend des mots qui dépaysent : épissure, hauban, touline, embraque. Et on y croise des gens qui font de drôles de métiers : dockers, éclusiers, pilotes. Ou lamaneurs, comme Pascal.

Le maître des cordages

Pascal est le maître des cordages, celui qui gère avec ses collègues les opérations d’amarrage et de largage de tous les bateaux du port. Aux écluses, dans les 4 bassins, au terminal ferry. Et même en rade de Dinard, quand les paquebots sont trop imposants pour rentrer dans le port.

Le lamaneur est sous l’autorité de l’officier de port. Mais son vrai patron, c’est la marée. « C’est la pleine-mer qui fixe nos horaires. On est au boulot 2h30 avant, on finit 2h30 après, de jour comme de nuit. La mer ne prend ni week-ends ni jours fériés. « 

Les bateaux sont maintenus à quai par des amarres. Ils n’ont pas de frein à main, ne lâchent pas l’ancre dans le port ou en rade pour s’arrêter et se stabiliser. « Ils le font en dernier recours, si l’amarrage se passe mal, mais c’est heureusement extrêmement rare. C’est toujours périlleux de mouiller l’ancre : elle peut crocher un caillou, une épave, une voiture. C’est une manoeuvre à laquelle l’équipage n’est pas forcément habitué. Le matériel n’est pas toujours entretenu, le feu peut prendre dans le treuil. » Alors tout le monde fait en sorte que les manoeuvres d’amarrage réussissent. Elles nécessitent rapidité et précision.

Un métier de patience

Les lamaneurs sont aux aguets au bord du quai, vêtus de jaune et casqués. Pascal attend, comme son binôme, de l’autre côté. « La patience est une des qualités du lamaneur, sourit-il. On attend beaucoup.«  La bête se présente devant l’écluse, entre dans le sas : un cargo qui paraît immense. C’est le pilote qui décide du moment d’amarrer. Depuis la passerelle, il donne le signal par radio VHF : Pascal se ramasse et, d’un mouvement de bras, lance la touline à bord du bateau, à plusieurs mètres de hauteur. « La touline est un filin lesté qu’un marin du bord me renvoie avec la première amarre –une aussière dans le vocabulaire maritime qu’on appelle la garde. » Le mouvement est précis, assuré, mesuré. Il faut faire vite, et ne pas louper son lancer : « capelée à un bollard sur le quai*, la garde doit être mise en urgence, c’est elle qui freine le navire. Si on n’est pas assez rapide, si on se rate parce qu’il y a du vent, il risque d’endommager le quai ou les portes de l’écluse. « 

Au lancer!

Le second lancer de touline sera pour récupérer l’aussière de pointe, tendue vers l’avant et l’arrière du bateau. « Après, c’est plus simple, on double ou on triple les aussières pour assurer l’amarrage. » Entre temps, il aura tout de même fallu hisser les lourdes amarres le plus vite possible, avant qu’elles se gorgent de l’eau du sas et deviennent encore plus difficiles à remonter. « Elles étaient en chanvre autrefois, remplacé par le nylon ou l’argon. Le nec plus ultra c’est le dyneema®, d’une résistance extrême, léger, qui permet des amarres de petit diamètre. C’est du pain béni pour le lamaneur. Seuls les armements qui ont de l’argent en ont.« 

En milieu hostile

Le lamaneur est un marin. Plus qu’une obligation légale, c’est une nécessité : il faut savoir lire le comportement d’un navire, voir s’il arrive trop vite, s’il est limité dans ses manoeuvres. Le marin sens les choses et est réactif. Il sait où mettre la garde, quelle aussière utiliser… Une expérience qui peut vous sauver la vie. Parce que le métier est dangereux. « On apprend à reconnaitre le son d’une aussière en contrainte, prête à lâcher. Quand le son est de plus en plus strident, il n’y a qu’une chose à faire : s’écarter vite fait, avant qu’elle rompe. » Il faut aussi savoir où on met les pieds : « on travaille en équilibre sur le bord des quais. De nuit, quand il pleut, on n’y voit pas grand chose, même avec nos lampes frontales. C’est un endroit hostile : une plaque de métal qui s’efface, un tasseau de bois qui traine, des objets qui roulent sous le pied et on risque la chute. »

Savoir protéger ses arrières

L’entorse, la coupure guettent, quand ce n’est pas la brûlure provoquée par une amarre qui file : « on a des gants, mais tous les lamaneurs ne les mettent pas. On a moins de dextérité, surtout quand il faut défaire les noeuds des aussières. » Si l’amarrage à quai peut parfois poser problème, celui des paquebots en rade, sur des coffres, reste le plus périlleux, surtout quand la météo n’est pas bonne. « Le patron du remorqueur qui nous amène jusqu’au coffre doit faire preuve d’habileté pour s’amarrer. On saute sur la plateforme pour passer les aussières : 4 derrière, 4 devant. Ça bouge bien quand la mer est formée, qu’il y a du vent…Parfois, le coffre bascule : il faut alors vite remonter à bord du remorqueur. D’autres fois, les aussières balaient le pont pendant qu’on est occupé aux manoeuvres : là, c’est clair, on compte sur son collègue pour protéger ses arrières. »

« Vivre mes rêves »

Pascal est devenu lamaneur par amour de la mer. « C’est une histoire de passion. Fils de terre-neuvas, neveu de 2 capitaines de grande pêche, je suis devenu pêcheur par vocation. Mais le physique n’a pas suivi : la mort dans l’âme, j’ai dû abandonner le métier. J’ai continué à naviguer dans le commerce, le pétrole, je me suis essayé à la mécanique de précision. Et puis j’ai eu besoin de revenir à Saint-Malo, à ce qui avait compté dans ma vie : cette baie magnifique, les casiers qu’on va relever les jours de congés, la pêche au maquereau, les virées à Chausey. Devenir lamaneur m’a permis de revenir au pays et de continuer à vivre mes rêves. » Ce qui lui donne le plus de plaisir? « La pêche au bar. » Au lancer, forcément.

texte Béatrice ERCKSEN / photos © Gérard CAZADE

Quelques explications :

*Capeler à un bollard : passer l’oeil de l’amarre sur un bollard -une bitte- fixé au quai

Aussière s’écrit également haussière

4 coffres sont installés devant le barrage de la Rance, pour accueillir les paquebots. Ils sont reliés par une chaîne à un corps-mort (bloc de béton) qui les empêche de dériver.

Lamaneur vient du vieux français laman, lui-même issu du flamand lotman : homme de plomb. Autrefois, le lamaneur était le pilote qui utilisait les sondes de plomb pour connaitre la profondeur de la mer.

Le service lamanage de Saint-Malo dépend de la CCI. Il compte 5 binômes, qui assurent le passage des écluses à chaque marée. L’amarrage et le largage des navires dans les bassins, au terminal ferry et en rade se font à la demande. Le lamaneur travaille 5 jours d’affilée, soit 10 marées (1 de nuit, 1 de jour), et bénéficie de 10 jours de congés.

7 commentaires
  1. Gérard 23 juillet 2017

    C’est un plaisir de découvrir ces différents métiers de la chaîne maritime.

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    • beatrice 23 juillet 2017

      C’est un plaisir de lire tes commentaires, Gérard. A bientôt

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  2. peigne 24 juillet 2017

    Merci pour la découverte de ce métier

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  3. YVES MARIN 24 août 2017

    Encore un beau reportage avec des détails précis sur un métier plein de dangers et de responsabilités pour le lamaneur .Bon courage à Pascal et merci à l’équipe .

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    • beatrice 25 août 2017

      Merci Yves!

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  4. Alain Stéphan 22 décembre 2017

    Métier que je ne connaissais pas et dont j’ignorais l’existence. Dur métier et dangereux. M Pascal vous avez droit à tous mes respects et vous pouvez être fier de vous.

    Merci pour ce reportage, Béatrice (que je ne connais pas et à mon ami le photographe Gérard.

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    • beatrice 22 décembre 2017

      Merci Alain, au plaisir de vous rencontrer au détour d’une rue malouine…

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