Julien est un héritier des navigateurs malouins qui ramenaient épices, porcelaine et soie de contrées lointaines aux noms enchanteurs, île Bourbon, Pondichéry, la Terre de feu. Il aime courir le vaste monde et en rapporter des trésors. Mais pas comme on croit. Ses voyages partent des livres, des atlas, du net, les trésors qu’il recherche vivent, croissent, fleurissent, et l’aventure se termine lorsqu’ils s’épanouissent dans nos jardins.
On peut trouver sa voie très tôt dans la vie. Julien gamin adorait écouter, dans les repas de famille, les histoires sur cet arrière- grand-père terre-neuvas qu’il n’avait pas connu -des histoires de voyages parfois sans retour, de goëlettes, de tempêtes et de pêche à la morue-, et qui fut un des premiers Cancalais à ramener du Groenland de drôles de chiens aux yeux bridés, cousins des huskies, dont on lui prédisait qu’ils ne s’acclimateraient jamais au climat breton. Il lui en est resté un goût très fort pour les explorations lointaines.
Voyage au bout du jardin
Mais s’il rêve de Tasmanie, de Santiago, de Cape Town, de Wellington, c’est avant tout parce que ces terres d’ailleurs nourrissent des plantes fabuleuses. Ce qui le fait kiffer, Julien, ce sont les végétaux. Et ce qu’il aime par dessus tout, c’est réussir à les faire pousser chez nous, leur donner envie de s’enraciner ici, leur faire oublier leur terre natale. Le Malouin voyage dans ses jardins, qui recèlent selon lui « autant de merveilles qu’au bout du monde ».
Un rêve vert
Julien rêve en vert depuis son enfance. Le départ de la cité malouine pour Paris, à 5 ans, a peut-être renforcé son envie de chlorophylle. À moins que ce ne soit les vacances passées dans la maison familiale de Rothéneuf, entre mer et campagne, à courir les chemins creux et à fabriquer des cabanes…Enfance et adolescence parisiennes, premiers pas professionnels dans une grosse jardinerie de la capitale, et toujours la même idée fixe : « un jour, je reviendrai chez moi, à Saint-Malo. » A 29 ans, Julien saute le pas, débauchant au passage un de ses collègues, Romain, « Parisien parfaitement acclimaté à la Bretagne », achète une maison au Clos-Cadot – « vivre intra-muros est impossible pour moi, il n’y a pas de vert »-, monte Les Jardins d’Ailleurs, sur les terres maraîchères de Saint-Méloir.
Chasseurs de plantes
Pour Julien, l’aventure commence dans les atlas et sur le net, « à la recherche de pays qui ont le même climat tempéré que le nôtre, la même humidité, les mêmes sols acides. Je me promène de Santiago à la Terre de Feu, sur la côte sud de l’Australie, dans les monts de l’Afrique du Sud…et je repère les plantes que j’aimerais récupérer. » Pour assouvir sa passion, Julien peut compter sur un réseau de doux dingues, « des collectionneurs acharnés, souvent retraités, qui partent un mois dans les montagnes du Vietnam ou en Afrique récupérer les graines dont ils font profiter les amateurs éclairés et les pépiniéristes comme moi. » Des chasseurs de plantes, dignes descendants de ceux de la Société Française d’Acclimatation du XIXe siècle, recréée il y a quelques années et dont Julien est membre.
L’acclimatation
Et après ? Le plus difficile reste à faire : « semer et acclimater la plante. Trouver l’endroit du jardin où elle se plaira, la terre qui lui conviendra. Déplacer, rempoter, arroser. Essayer. Le challenge, c’est ce qui m’anime et m’amuse. Si j’avais écouté les gens d’ici quand j’ai commencé, tout aurait crevé. J’ai des déboires bien sûr, des plantes qui meurent. Mais même l’échec permet d’avancer. Il faut savoir être persévérant. »
Une terre bénie des dieux
Persévérant, c’est le mot juste. « Indispensable quand on prétend aménager des jardins à Saint-Malo.» Et pourquoi donc ? « Les Malouins, en général, ne s’intéressent pas vraiment à leur extérieur. Ou alors ils veulent du tout-venant, du pratique qui ne demande pas trop d’entretien. Ils ont pourtant de l’or sous les pieds et un climat fantastique, ni trop chaud ni trop froid. Cette terre est bénie des dieux, et ils ne le savent pas ! » Pas intéressés par la botanique, les Malouins ? Ça n’a pas toujours été comme ça quand même ! Du temps des armateurs et des malouinières… «Ils ne s’y intéressaient pas plus ! Ils se sont fait construire de magnifiques maisons, mais les jardins, à part 2 ou 3, c’était pas leur truc. Ils plantaient quelques palmiers ramenés dans les cales des bateaux, signes extérieurs de richesse. Les ports de Brest, Granville, Cherbourg, Le Havre ou Bordeaux ont tous des jardins botaniques connus ; des habitants passionnés ont acclimaté les végétaux que ramenaient les bateaux, et on y trouve des jardins magnifiques. Pas à Saint-Malo. » Julien ne désespère pas de convertir les Malouins. « J’ai quelques clients, propriétaires de malouinières ou de maisons de capitaine, qui me laissent m’amuser. Dans quelques années, on aura l’impression que ces jardins créés de toutes pièces auront toujours existé… »
Des plantes merveilleuses
Dans sa pépinière de Saint-Méloir, Julien veille sur des plantes merveilleuses et rares, qu’il est parfois l’un des seuls Français à avoir acclimatées. Elles lui ont valu 3 prix sur 6 en 2017 à la fête des plantes du château de Saint Jean de Beauregard, qui réunit les meilleurs pépiniéristes producteurs européens, les plus grands collectionneurs, les responsables des plus beaux jardins du continent, les jardiniers de la Reine d’Angleterre. Avec son associé, Julien réussit le pari d’acclimater des plantes délicates à cultiver, des protéacées d’Afrique du Sud au Muehlenbeckia astonii de Nouvelle Zélande, en voie de disparition dans son pays d’origine. « Au delà du challenge, nous avons l’envie et le devoir de collectionner et de diffuser ces plantes pour les conserver. »
Des hortensias…chinois
Pourquoi s’intéresser davantage aux plantes d’ailleurs ? Elles ne sont pas assez bien, nos locales ? À une dame qui lui en faisait gentiment reproche, Julien a proposé d’aller chez elle, faire le tour de son jardin. « Je lui ai prouvé que tous ces végétaux qu’elle pensait d’ici avaient été acclimatés au fil des siècles, » sourit Julien. « Et mes hortensias, tout de même, ils sont bien bretons ! » «Eh non, Madame, ils sont chinois! Ils ont été amenés par les Anglais, à la fin du XIXe. »
Les pieds sur terre
Peut-être, un jour, Julien quittera-t-il la terre malouine pour aller lui-même chercher les graines qu’il convoite ? « J’aimerais bien…» Vraiment ? « Heu…En fait, j’ai peur en avion. J‘aime avoir les pieds sur terre. Grimper au sommet d’un arbre est le maximum que je puisse faire. »
texte Béatrice ERCKSEN / photos © Gérard CAZADE
L’entreprise d’architecture paysagère de Julien et Romain s’appelle Les Jardins d’Ailleurs
95 % des végétaux qu’ils utilisent sont produits sur leurs terres, aux Pépinières de Saint-Méloir (vente au public)
Julien est membre de la Société Française d’Acclimatation
Julien et Romain exposeront à la Fête des Plantes d’Automne 2018, au château de Saint-Jean-de-Beauregard, les 21, 22, 23 septembre