Nous sommes en 2017 après Jésus-Christ. Toute la Bretagne est privée d‘opérette… Toute? Non, une ville d’irréductibles Gaulois résiste encore et toujours, contre vents et marées. La troupe d’amateurs de Saint-Malo se prépare à jouer Les Saltimbanques, une opérette du XIXe siècle. Ils ne seraient pas un peu fous, ces Malouins?
Sylvie, choriste depuis plus de 20 ans
« C’est vrai qu’on est un peu cinglés. Depuis plusieurs semaines, on répète du jeudi au dimanche non-stop. Des fois on en a marre, mais qu’est-ce qu’on rigole! L’opérette, j’y suis venue par hasard en 94. Je faisais partie de la chorale Vent du Large, et des amis choristes m’ont dit : »on cherche pour monter Méditerranée une alto pas trop vieille, pas trop moche et qui chante pas trop faux, est-ce que ça te dit? » Demandé comme ça, ça ne se refuse pas…L’opérette, c’est gentillet, faut avouer; c’est toujours l’histoire des amours contrariés d’une jeune première et d’un jeune premier, des airs pour faire pleurer Margot, des chansons qu’on retient et que le public reprend en choeur à la fin. Mais que c’est beau! Les tableaux sont impressionnants. On loue des décors et des costumes de théâtre magnifiques. L’opérette est là pour faire rêver les gens. C’est un challenge à chaque fois, parce que le choeur n’est constitué que d’amateurs. Les dernières répétitions sont parfois tendues. Il faut se placer, changer de costumes et de décors rapidement, descendre et monter les 2 étages entre les loges et la scène, se croiser dans les escaliers avec des crinolines parfois, s’habituer à la pente de la scène du théâtre…cause d’un fou rire difficile à maîtriser, lors d’une générale. La soliste devait jeter en l’air un plateau avec des oranges. Les fruits ont roulé vers l‘orchestre, et une orange s’est coincée dans le tuba.«
Annick, responsable de la billetterie et ancienne choriste
« On a un public fidèle : des spectateurs qui affrètent un car de la Mayenne, un d’Avranches, des Parisiens résidents secondaires, des gens des communes de la Baie du Mont St Michel, de la Bretagne Romantique et de l’autre côté de la Rance…Dès l’ouverture de la billetterie, ils sont les premiers à réserver leurs places. Et ils veulent souvent être installés au même endroit que l’année précédente. Beaucoup se mettent sur leur 31 pour venir, c’est une sortie importante. On sait qu’il y a des gens modestes dont c’est le cadeau de Noël. On n’a pas le droit de les décevoir. Alors on donne le maximum. »
Laurence, comédienne
« Je suis arrivée à l’opérette par erreur. Des amis m’ont dit « viens avec nous, il y a un rôle pour toi. » Je croyais qu’ils me proposaient un rôle comique au théâtre. Ils ne m’avaient pas tout dit…Quand j’ai su que c’était de l’opérette, je n’étais pas trop emballée. L’opérette pour moi, c’était désuet…J‘ai adoré! C’était en 2007, et l’association a fait appel à moi à trois reprises depuis. C’est magique : chacun travaille dans son coin, et puis on se retrouve quelques semaines avant l’opérette et tout à coup, ça fait un spectacle… »
Isabelle, chef de choeur et directrice musicale
« L’opérette à Saint-Malo, c’est grâce à Madame Dubois-Guyot. C’est elle, il y a 40 ans, qui a monté les premiers spectacles, qui a créé l’association ancêtre de Mosaïque Musicale Malouine (MMM). Elle était ma professeur de chant, et elle m’a mis sur scène, comme d’autres élèves. Elle nous en a donné le goût. Alors quand on m’a proposé de prendre sa suite, j’ai été ravie. Mon père, mon grand-père chantaient, et c’est formidable de sauvegarder ce patrimoine. Nous sommes les seuls en Bretagne à entretenir un choeur amateur à l’année.«
Frank, metteur-en-scène des opérettes malouines en 2015 et 2016
« Je nage dans l’opérette depuis longtemps. Pourtant, quand j’étais jeune, je jouais du hard rock….que j’écoute toujours. Je suis fidèle à AC/DC et Deep Purple, et j’aime l’opérette! C’est un monde festif, drôle et truculent dont je suis tombé amoureux en voyant les premières opérettes d’Offenbach. Il satisfait mon amour du chant, de la comédie et de la mise en scène. J’aime l’ambiance des préparatifs où artistes, bénévoles, figurants, menuisiers, charcutiers -il faut bien préparer la bouffe pour la troupe!- se mêlent, et que je retrouve chaque année au festival des châteaux de Bruniquel que j’ai créé, dans le Sud-Ouest. A Saint-Malo, je ne suis pas dépaysé : il y a la même ambiance. Avec une météo un peu moins clémente… »
Thibaut, fils de Frank , metteur-en-scène des Saltimbanques
« L’opérette? Je suis tombé dedans quand j’étais tout petit. J’ai touché à tous les postes, et depuis quelques années, j‘assiste mon père dans la mise en scène. Il ne pouvait pas assurer celle des Saltimbanques, alors il a proposé à MMM que je le remplace. Je suis comédien et j’ai monté quelques trucs, mais c’est la première fois que je me lance en solo dans l’opérette, et dans un spectacle de cette envergure. A 27 ans, c’est le grand saut, et une excitation particulière. C’est un régal d’être ici. »
Olivier, choriste et président de MMM
« L’opérette 2017, c’est 28 choristes, 9 danseuses, 9 figurants, 9 solistes et comédiens professionnels, 21 musiciens professionnels, 8 techniciens, 15 couturières, des bénévoles qui prennent en charge la billeterie, la communication, la location des partitions et les livrets, des décors et des costumes, l’accueil et le placement des spectateurs…C’est une grosse machine qu’on arrive à maintenir à flot parce que nous sommes majoritairement bénévoles. Pourtant c’est difficile, le montage d’une opérette coûte de plus en plus cher. Mais on garde la foi!«
Géraldine, chanteuse lyrique professionnelle, soliste
« L’opérette malouine et moi, c’est une longue histoire d’amitié. J’ai chanté pour la première fois ici en 2003, pour La Veuve Joyeuse. Je débutais, l’association m’a fait confiance et m’a permis de mûrir artistiquement; j’y ai rencontré des gens fabuleux. J’adore travailler avec eux car ce sont des amateurs passionnés, investis, qui jouent et chantent comme des pros. J’ai tissé de vrais liens avec Isabelle, la chef de choeur, qui a la même exigence artistique que moi. Travailler avec des personnes qu’on estime, avoir une connivence rejaillit sur la qualité de l’opérette, et les spectateurs le ressentent. Je mène aujourd‘hui une carrière internationale, mais je suis fidèle à Saint-Malo où je reviens chaque année pour tenir le rôle principal. Comme les autres solistes, je suis logée chez les membres de l’association. Avec eux, quand on a la chance de ne pas terminer les répétitions trop tard, on sort prendre l’air sur le Sillon ou faire une balade sur les remparts. On fait partie de la famille…«
Paule, coordinatrice du spectacle
« Pendant 15 jours, ma maison devient mi-magasin, mi-atelier de couture : il y a des costumes dans la salle, dans les 4 chambres, dans la cuisine, des perruques, des ceintures et des tas d’accessoires. Tout ça arrive par malles entières, 15 jours avant l’opérette. On s’est longtemps adressés aux Etablissements Grout, fournisseurs historiques des opérettes françaises. Les costumes des années 50 étaient magnifiques, réalisés dans des tissus superbes mais très lourds. On loue aujourd’hui nos costumes à Agnès Montanari, une professionnelle de l’opérette installée à Montaigu. Elle les fabrique dans des tissus modernes, plus légers, qui se lavent, et assez larges pour nos messieurs -les gabaris de 2017 ne sont pas les mêmes que ceux d’après guerre-. Avec Jacqueline, la responsable des couturières, on trie et on met tout sur des portants. Et le défilé commence : les choristes, les solistes, les danseuses, les comédiens passent essayer les vêtements que les couturières ajustent, installées dans ma véranda. On ne circule plus : même mon lit est mis debout contre le mur! Je dors sur un lit superposé, dans une chambre au grenier.«
Comme les aventures d‘autres irréductibles Gaulois, l’opérette annuelle se termine par un joyeux banquet. Sauf que celui qui chante n’est pas bâillonné. N’empêche, ils sont vraiment un peu fous, ces Malouins!
textes Béatrice ERCKSEN / photos © Gérard CAZADE