Saint-Malo est une cité riche de visiteurs de tous horizons, désormais en toutes saisons, on le sait. Mais savez-vous qui sont les personnes que les promeneurs et touristes, d’où qu’ils viennent, vont voir le plus souvent et avec plaisir? Les personnes qu’ils saluent régulièrement, avec lesquelles ils parlent le plus facilement? Des guides, des commerçants, des agents de la circulation? Vous n’y êtes pas. Les personnes de l’accueil, à Saint-Malo, cité corsaire et touristique, ce sont les dames des toilettes, les dames pipi. Comme Véronique.
Pour comprendre le boulot d’une dame pipi, il faut s’approcher un jour d’été des toilettes qui se trouvent à l’entrée de l’intra-muros, esplanade Saint-Vincent. C’est l’époque des grandes affluences. Des grandes marées touristiques. Ils arrivent en famille, en groupe, en bus. C’est un flot ininterrompu qui entreprend de descendre l’escalier, qui tente de ne pas pousser, qui s’interpelle, qui réprimande les enfants, qui cause toutes les langues.
Bon accueil
En bas des marches, il y a Véro, une goutte de tranquillité inoxydable dans cet océan de fébrilité. Véro, c’est d’abord un accueil, une politesse.« C’est important de bien accueillir les gens. Bonjour-Au revoir, c’est le minimum. » Et quand c’est dit dans la langue des visiteurs, ça fait plaisir : « je sais dire bonjour, au revoir, merci en anglais, en allemand, en italien et en espagnol. J’ai demandé aux gens de m’écrire les mots pour que je m’en souvienne. Je sais comment dire papier dans toutes ces langues-là, aussi … » A connaître absolument, surtout quand les visiteurs sont au bout du rouleau!
Le secret, c’est l’organisation
C’est ensuite un savoir-faire, une organisation.« Je demande aux gens de bien vouloir patienter, j’envoie les femmes 3 par 3. Et entre les passages, je vérifie l’état des sanitaires.Ce que j’aime, c’est laisser la porte ouverte, pour que les gens voient que la place est libre, propre, et que ça sent bon. C’est vrai que je passe beaucoup de temps à nettoyer, mais ça me tient à coeur. J’aime que les gens s’y trouvent bien, et j’aime bien qu’ils me le disent. »
Elle n’en fait pas un peu beaucoup, Véro? « Elle ne rigole pas avec la propreté, sourit sa collègue Isabelle. Je lui ai dit de ne pas en faire autant, mais c’est son tempérament. Cela étant, je peux vous dire que j‘apprécie de prendre le travail après Véro, parce que je sais que derrière elle, les toilettes seront impeccables. »
Ohhhhh!
Les toilettes de la Porte Saint-Vincent, de la Grand Porte, et de la Porte de Dinan sont les plus fréquentées. Pour le passant parisien, en manque de métro aux heures de pointe, ça peut être un clin d’oeil rassurant. Pour les dames pipi, c’est de l’animation toujours, du sport un peu, parfois l’occasion d’un événement rare : comme cette dame placide venue faire pipi dans l’espace hommes, les fesses à cheval sur un urinoir. Ou cet homme, surpris dans la même position pour un besoin plus important. Ou cet autre homme qui s’arrêta au milieu du hall masculin, se déshabilla et entreprit de se doucher avec une bouteille d’eau. Ces toilettes-là laissent des souvenirs, certes, mais elles ne sont guère favorables aux rencontres et à la discussion.
Intimité
Dans les autres toilettes, en revanche, à l’écart des grands flux, la vie ressemble plus à un ruisseau tranquille. On y fait d’autres rencontres, plus intimes, plus poétiques. Avec les habitués, d’abord, qui entrent avec le sourire. « Place du marché aux légumes, on connaît les commerçants, on papote, raconte Isabelle. Certains n’ont pas de toilettes dans leur magasin, ou préfèrent venir nous voir plutôt que de grimper 3 étages pour aller se soulager dans leur appartement. Les toilettes du Surf School sont sympas aussi, on prend le thé avec des petites mamies qui viennent raconter leurs bonheurs et leurs misères. »
Les amitiés légères
Certains ont leurs sanitaires préférés, et leur gardienne de prédilection. « Il y a une dame qui passe me voir régulièrement. Elle s’appelle Jocelyne, mais moi je l’appelle Madame Josie. On ne sait pas grand chose l’une de l’autre, mais on a plaisir à se voir, et on se tape la bise quand on se rencontre » raconte Véro, elle aussi sensible à ces rencontres improbables, à ces amitiés légères, qui font le charme du métier. « Un jour que j’étais Porte Saint-Pierre, une Parisienne est entrée. J’ai trouvé qu’elle ressemblait à Linda de Suza, je le lui ai dit. Ça lui a fait plaisir et depuis, à chaque fois qu’elle vient à Saint-Malo, elle m’envoie un SMS pour me prévenir. Et on se suit sur facebook. »
Phobique
Véro reconnaît avoir un faible pour la Porte Saint-Pierre. « J’aime beaucoup : on voit dehors, on respire l’air marin, on discute avec les gars de l’école de voile, on a le bruit de la plage de Bon Secours…on est un peu en vacances! »
Encore que… « Bon j’avoue, au début, j’ai eu un peu de mal parce que je ne supportais pas d’avoir un grain de sable dans mes toilettes. Genre phobie, tu vois. Evidemment, je passais mon temps à balayer…Avec le temps, j’ai appris à lâcher un peu la pression, je suis moins obnubilée par le ménage. Enfin, un peu… » Elle a un sourire. « Tu vois, par exemple, eh bien au Surf school, je m’ennuie. Moi, j’aime bien quand ça bouge. »
Impeccable!
Et quand une dame pipi finit son travail, qu’est-ce qu’elle fait? Isabelle est partie travailler en forêt, « au grand air » a-t-elle dit. Véro, elle, aime aller passer une soirée au restaurant, en famille. Il y a quelques jours de ça, elle y est allée. A un moment, elle s’est levée de table. Ses enfants ont protesté, son mari a soupiré. Elle y est allée quand même. « Qu’est-ce que tu veux, c’est plus fort que moi. Quand je vais au restaurant, je vais voir l’état des toilettes. Et si c’est pas propre, je nettoie! »
textes Béatrice ERCKSEN / photos © Gérard CAZADE
Merci aux Madames pipi
Comme dirait ma voisine, à ce poste pas le temps de s’ennuyer; on voit du monde.
C’est vraiment sympa de parler des petites gens, de ceux qui entretiennent la ville très touristique de St Malo. Merci pour eux et pour nous simples touristes ou voyageurs qui passons par là…