Il s’en passe des choses, derrière les grillages et les tas de bois, entre les hangars et les bassins, autour du port de commerce. Des choses qu’on ne voit pas, des vies qu’on n’imagine pas. Et pourtant.
Ce port, c’est le domaine des dockers. Entre autres. Mais peut-être plus que les autres. Ils sont 36 à Saint-Malo. Des gars qui chargent et déchargent les navires et les ferries, stockent les marchandises dans les magasins, sortent les produits de la zone portuaire, conduisent les camions et les engins de manutention. Les dockers sont les muscles du port, et, comme les muscles du corps, ils sont liés et dépendants les uns des autres. Cela crée une unité, un syndicat, une sorte de confrérie, une fierté. « La solidarité, c’est une question de survie. Tout seul sur un port, vous n’êtes rien. Les moments d’inattention peuvent avoir des conséquences désastreuses, pour vous et pour les autres. Alors si je vois qu’un gars n’est pas à 100%, je m’ arrange pour le mettre à un poste moins exposé. » Stéphane, presque 50 ans, costaud et taiseux, fait partie des dockers permanents de Saint-Malo. C’est une sorte de chef d’orchestre : « deux fois par jour, je dispatche les camarades et les occasionnels venus prêter main forte en fonction des besoins. »
La tête et les jambes
Il y a 36 dockers mais, en 1993, ils étaient encore 90. Le trafic n’a pourtant pas diminué : entre 500 et 700 navires de commerce transitent chaque année par la cité corsaire. Sans compter les ferries. « Le métier a beaucoup évolué. Quand je suis arrivé, en 1986, on déchargeait les carcasses congelées à dos d’homme, les cartons de beurre à la main. Aujourd’hui, on a des chariots, des outils de levage. Certaines marchandises sont conditionnées en conteneurs. Le travail est moins pénible. On a besoin de moins de bras, mais de gars mieux formés. » Le docker d’aujourd’hui n’ est pas seulement un muscle, il doit être souple et polyvalent. « J’ai fait tous les postes. J’ai déchargé des cargos , dirigé la manoeuvre des grutiers, pointé les marchandises qui entrent et sortent , conduit des engins. J’ai tout aimé. C’est ce qui rend le métier intéressant. » Stéphane sourit. « Et ça apprend l’humilité : le lundi vous êtes contremaitre, le mardi vous balayez la cale d’un navire… »
Blessures
C’est aussi un métier où on peut se faire des blessures inattendues et profondes, des balafres au coeur. « Un jour, avec un camarade, on a découvert deux gamins, en déchargeant un cargo. Deux Africains d’à peine 20 ans. Ils étaient dans la cale pleine de tourteau, morts. Ils avaient certainement été empoisonnés par les insecticides dès le départ du bateau. Les mômes avaient prévu des provisions pour la traversée. Je revois leurs sandwiches, à côté d’eux. Ce sont des images qui ne s ‘effacent pas. »
Bien ancré
Stéphane ne s’imagine pas travailler dans un autre port . « Vous avez vu ce cadre? Y’a pire pour bosser, non? » Ni faire un autre boulot. Ce n’était pourtant pas celui qu’il rêvait de faire. « Mon père était docker, et ça ne me tentait pas plus que ça. » Quand il a laissé tombé l’école, à 18 ans, papa ne lui a pas laissé le choix : pas d’études? Alors au boulot. On avait besoin de bras au port. 30 ans plus tard, Stéphane est toujours là. Bien ancré. » J’aime mon travail de docker. J’aime les valeurs qu’il m’a enseignées. Ce métier-là, c’est la plus belle école de la vie. »
texte : Béatrice ERCKSEN / photos : © Gérard CAZADE
Très beau témoignage. Des belles valeurs .Merci Stéphane .
Ça a été une belle rencontre. Stéphane parle de son métier avec passion. Il appréciera votre commentaire.
Encore une belle histoire sur les malouins
Merci Cécile! (bon, c’est ma petite soeur, elle n’est pas très objective, mais ça fait plaisir quand même…)
Cécile a raison, très belle histoire – trés belles images et cela en toute objectivité. Un peu de Saint Malo pour les malouins loin du bord de mer ! Anne-Claire (l’autre sœur….)
Elles sont pas super mes frangines? C’est le dernier commentaire, je n’ai pas d’autres soeurs. Mais j’ai aussi un frère… Christophe ? C’est à toi…
Joli portrait, belles photos. Bravo pour avoir réussi à retranscrire des sentiments puissants d’amour de son métier, partie intégrante de lui-même.
Petit post-scriptum pour le photographe : quelle recette pour éviter cette mine renfrognée que j’obtiens moi sur mes photos ? Là aussi probablement un autre exemple de mélange savant entre métier et passion !
Bonne continuation à vous.
Karine (son épouse).
Karine, nous sommes ravis que le portrait vous plaise. Stéphane n’est pas un expansif, et on aurait pu craindre qu’il soit difficile de le faire parler : mais non! Il aime tellement son métier et ses collègues qu’il a suffi de l’écouter. Pour les photos, c’était pas gagné non plus : votre mari nous a prévenu qu’il détestait ça, et que la dernière fois qu’il avait posé, c’était pour votre mariage…Il a même ajouté que si les photos étaient réussies (ce dont il doutait), vous seriez ravie…et un peu envieuse. Toutes nos amitiés à vous deux.
Une passion inouïe de son travail retranscrite grâce à ce bel article.
Un homme censé, dévoué à sa ville, à son travail et à ses collègues.
A bientôt Stéphane!
Gaëtan, un partenaire d’activités sur le Port de St Malo
Pas de commentaire. Gaëtan a tout dit…
prévention indispensable des risques (physiques mais aussi chimiques) de la manutention portuaire ! : http://www.officiel-prevention.com/protections-collectives-organisation-ergonomie/manutentions/detail_dossier_CHSCT.php?rub=38&ssrub=161&dossid=468