5 juillet 2022

Bassam, sculpteur des rivages

By In Portrait

Nausicaa, Baal, Artémis, une danseuse, un dragon, tout en pierre et en légèreté, s’élèvent des plages malouines, pointent vers le ciel, percent le flot montant qui va tout-à-l’heure les engloutir. D’où viennent et que veulent dire ces sculptures de pierre éphémères qui semblent défier les lois de l’équilibre et les marées? Pour vous, nous avons rencontré leur auteur.

Bassam a débarqué à Saint-Malo un peu par hasard. Il y a 12 ans, ce Syrien d’origine nourri de culture française cherchait un refuge « au bord de la mer », pour s’évader de Paris quand le besoin d’embruns se faisait trop fort. Pourquoi Saint-Malo ? « La ville était facilement et rapidement accessible en train, raconte-t-il, d’autant qu’on annonçait l’arrivée de la LGV. Je n’avais pas un grand souvenir de la cité ; j’y étais passé 40 ans plus tôt avec ma dodoche, lorsque j’étais étudiant à Paris. J’avais traversé intra-muros et filé à Dinan, que j’ai préféré. Je n’avais pas vu, alors, les éclairages fantastiques, les levers et couchers de soleil sur la mer, les bleus du ciel qui virent au rouge. » Bassam tombe sous le charme d’un appartement « baigné de lumière » derrière le café du Théâtre, et du côté village, populaire de Saint-Servan. C’est décidé, Saint-Malo, ce vaisseau de pierre, serait son port d’attache quelques jours par mois.

Écouter les pierres

Choix, peut-être, ou bien signe du destin. Car entre Bassam et les pierres existe un lien particulier. Il prend racine à Alep, sa ville d’origine, « qui abrite le plus grand souk en pierre du monde. J’ai grandi au milieu du granit noir et du calcaire, des statues hittites qui gardent l’entrée du musée de la ville. Mon grand-père travaillait dans des carrières, où il taillait des marches . Les pierres me parlent depuis que je suis tout petit. » Ça tombe bien : celles de Saint-Malo ont des choses à dire à qui sait les écouter. Quand Bassam décide il y a 10 ans d’en entasser quelques-unes sur la plage de Solidor, le message passe immédiatement. « Mon premier cairn horizontal n’avait rien de remarquable ni d’esthétique, se souvient-il, mais l’expérience m’a séduit. »  Ses cairns prennent en quelques mois de la hauteur, de la consistance et du panache. « Moi qui suis passionné d’art mais qui ne sait ni peindre ni dessiner, j’ai découvert le plaisir de la création, qui dépasse tous les autres. » Bassam aime travailler sur les plages, « ces ateliers à ciel ouvert », marier ses sculptures à la mer, à la lumière, aux bâtiments qui les entourent. « L’environnement embellit mes œuvres, qui en retour le mettent en valeur.  Un même cairn ne rendra pas la même chose au coeur de l’anse Saint-Père avec la tour Solidor en toile de fond, ou au Sillon sur la plage dégagée. Le paysage est un élément essentiel de mon œuvre. »

À chaque plage ses cailloux

Le Malouin de coeur a aussi découvert que si chaque plage avait ses particularités et son charme, elle avait également ses cailloux. Aux Bas-Sablons, à Solidor, à l’anse Saint-Père pullule le poudingue, « une pierre sédimentaire formée de petits galets qui peut avoir plusieurs couleurs, rouge, rouille… Parfaite pour une Artémis. »  On y déniche également « des granits blancs, des verts qui ressemblent à du bronze, des pierres aux formes variées, brisées ou polies par la mer. » Sur la plage des Fours à chaux, Bassam ramasse « des pierres composées de coquillages presque fossilisés. » Sur le Sillon, « j’utilise les pierres rondes, polies, nichées derrière les brise-lames. C’est là que sont nées ma première Ève et ma déesse aux seins multiples. »

Composer avec le paysage

Une semaine par mois, Bassam devient donc un habitant de la plage, qu’il investit dès le petit matin. Première étape : « l’état des lieux, explique-t-il. Je repère l’endroit où je vais positionner ma sculpture dans le paysage, le socle qui l’accueillera et qui doit déjà être ancré dans le sable…Puis je regarde ce qui m’entoure : un bout, un morceau de chaîne, une plume qui finira sur une tête, des algues qui simuleront la chevelure de Nausicaa, un bois flotté pour l’arc d’Artémis, les pierres que je vais utiliser, que je connais pour la plupart : tel caillou deviendra un magnifique chapeau, telle pierre effilée , longue de 45 cm, sera une belle corne de licorne ou la haute coiffe d’un pharaon. Je n’utilise que ce que je trouve dans le milieu et je m’adapte à ses caractéristiques. La cairnologie est en cela l’art de la liberté et de l’intelligence. »

L’invitation au voyage

Les sculptures de Bassam racontent la mer, les voyages, les dieux, les amours. Elles invitent à un voyage qui ne dure que quelques heures, puisqu’elles seront déconstruites par leur auteur, ou par la mer « qui peut aussi les retravailler, les arranger, les renflouer avec du sable. Il y a 5 ans, j’ai créé un canard sur une base de granit rose. À chaque marée, la mer baladait la tête rosée du canard, qui a fini par blanchir. J’ai restauré ce « canard rose de Picasso » plusieurs fois ; ce n’était jamais le même. »

Que pensent les passants de ces totems de pierre ? « Ils m’encouragent, me félicitent, m’applaudissent lorsqu’après 30 minutes d’efforts, une pierre trouve sa place selon un angle improbable. Il y en a quelques-uns qui râlent en disant qu’en déplaçant les pierres, je détruis les habitats. C’est n’importe quoi ! Je ne désensable pas des pierres, j’utilise quelques cailloux qui, de toute façon, sont déplacés à chaque marée. J’ai moins d’impact que le pêcheur qui creuse le sable pour y chercher des vers, ratisse la grève pour y trouver des praires, ou soulève les pierres pour y dénicher des crabes. »

Voir autrement

Avant de déconstruire ses œuvres, ou de les voir recouvrir par le flot, Bassam les photographie et les poste sur les réseaux sociaux. Il a des fans dans le monde entier. « Je les mets en scène en tenant compte de la mer, de la lumière. Avant l’aurore par exemple, l’éclairage rend la statue dorée et le fond de ciel bleu roi. J’essaie d’intégrer dans mon cliché un paysage, un monument , comme la tour Solidor. La voir tous les jours la rend ordinaire. Mais si elle apparaît en arrière-plan d’une sculpture, on la regarde autrement. J’aime penser que mes œuvres changent le regard que les gens portent sur les choses. »

Texte : Béatrice Ercksen – Photo de Une : © Gérard Cazade

Autres photos : © Bassam Tahhan

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