On les côtoie sur la plage, sans même y faire attention, tellement elles sont là chez elles, naturellement, depuis toujours. Elles sont échouées sur le sable, accrochées aux rochers, flottantes parmi les vagues. Elles s’appellent mousse d’Irlande, cheveux de mer, fouet de sorcier, baudrier de Neptune ou fleur de mai. Des noms qui font rêver, qu’on redécouvre aujourd’hui. Car le rêve mérite effectivement le détour. Les algues ont des propriétés fabuleuses.
Pudiques, les algues?
Il suffit d’une paire de chaussures qui ne craignent pas l’eau, d’un seau et d’une paire de ciseaux pour aller se servir. Et d’un guide. Parce que les algues ne se cueillent pas n’importe où, n’importe comment, n’importe quand. C’est le métier de Josie d’enseigner ça à ceux et celles qui veulent apprendre. Un métier, vraiment? « Une passion plutôt. Quand il a fallu me reconvertir après un licenciement économique, je me suis dit qu’il était enfin temps de faire quelque chose qui me plaisait et avait du sens. » En ce dimanche de la fin mai, la fille de marin a donné rendez-vous aux amateurs à 15h 30, près de la plage du Perron, à Saint-Briac. Josie aime varier les plages, sur la côte, mais pour l’heure, c’est la marée qui décide. Les algues se cueillent à marée basse, même par petit coefficient. Plus il est élevé, plus le choix est grand : pudiques, certaines algues ne se découvrent qu’à plus de 90.
Y aller doucement
La leçon commence par deux principes de base : « on n’utilise jamais une algue échouée, sauf au jardin. Sinon, sauf en cas de pollution, plutôt rare chez nous grâce aux marées, toutes les algues sont bonnes à consommer. » Sans risque? « Les algues se nourrissent par osmose des richesses minérales et organiques de l’eau de mer. Elles ne la filtrent pas, comme le font par exemple les moules. Si on les cueille dans une eau saine, on ne peut pas être intoxiqué. Elles nettoient l’organisme des métaux lourds, des graisses et du sucre, mais elles peuvent être laxatives. Certaines sont très iodées –surtout les brunes–, et on peut se sentir mal si on en consomme trop ou si on est allergique à l’iode. Il faut y aller doucement, commencer par quelques grammes, et si on supporte, on peut augmenter les doses. »
Un trésor oublié
Les algues sont partout sur la plage et les rochers, des rouges, des brunes, des vertes. Les eaux bretonnes en abritent 700 espèces. Une vingtaine sont autorisées à la vente. « Ça ne veut pas dire que les autres ne sont pas comestibles, seulement qu’elles n’ont pas encore été analysées. »
Pas encore? « On les a longtemps utilisées pour fertiliser champs et jardins, pour se chauffer, pour nourrir les bêtes, et puis on les a oubliées. Il a fallu que les industries pharmaceutique, cosmétique et agro-alimentaire s’y intéressent pour que tout le monde les redécouvre. Elles fabriquent les deux tiers de l’oxygène de la planète, sont bourrées de vitamines, de protéines, d’Omega 3, de minéraux, de fibres; elles ont des propriétés hydratantes, anti-oxydantes, anti-fongiques, amincissantes. C’est un formidable trésor à portée de main… «
Vous avez dit algues vertes?
Les algues vertes, là, font réagir le groupe. C’est bien celles qu’on ramasse à la pelleteuse sur certaines de nos plages, et qui empoisonnent tout le monde? Josie sourit, cueille et montre la laitue de mer. « Les algues vertes ne sont pas nocives, elles sont même excellentes. C’est leur concentration et leur décomposition au soleil qui posent problème et génèrent de l’hydrogène sulfuré. Vous mangez des patates pourries, vous? Non? Pourtant vous mangez des patates? Ben les algues vertes, c’est pareil… »
Bon pour tout, on vous dit…
Et comment est-ce qu’on les cueille? « On n’arrache pas les algues : on les coupe en laissant un bout de lame, plus ou moins long selon les espèces. On grappille, en ne prenant que ce qu’il faut pour sa consommation ». Après, on fait quoi de ce qu’on a ramassé? « On utilise les algues fraîches, séchées, au sel ou au vinaigre. On peut même les congeler. » Josie s’accroupit près d’un champ de goëmon noir, présente « une amie : le fucus serratus, idéale contre la cellulite et la peau de crocodile. Comme elle passe de grandes périodes hors de l’eau, elle a développé des propriétés hydratantes: vous la mettez dans une chaussette nylon -sinon ça bouche les canalisations- et vous vous frictionnez avec sous la douche. En plus ça sent bon, on a l’impression d’être en pleine mer. » Josie invite à croquer les extrémités de l’algue. « Ça a goût de cornichon et c’est excellent pour le transit. Pensez aux dragées Fuca… »
Vertes, brunes, rouges…
Les Malouins (surtout les Malouines) sont nombreux à suivre Josie. Il y a quelques années, Martine a effectué une sortie avec elle, et participé à un atelier de fabrication de cosmétiques. Depuis, elle enfile ses bottes à chaque grande marée pour faire provision d’algues, qu’elle utilise « dans les salades, les soupes, sur les toasts. Je les cueille, je les fais sécher sur des plateaux et je les découpe en paillettes que je conditionne dans des pots en verre fumé, pour qu’elles ne perdent pas leur couleur. » Pour savoir quelles variétés cueillir, Martine ne se sépare jamais du guide des algues de l’estran, fourni par Josie. Elle mélange vertes, brunes et rouges « pour avoir des propriétés, des saveurs et des textures différentes. » Elle prépare également sa crème hydratante, « très efficace et qui ne coûte rien. » Seul bémol, qui la fait rire : « je vis en appartement, et mon compagnon fait la grimace quand je fais sécher ma récolte. C’est vrai que ça sent parfois la marée… »
Il n’y a pas que les marées, il y a aussi le règlement. Pour permettre leur reproduction, il est interdit de récolter les algues à certaines périodes de l’année, généralement en hiver et au début du printemps. Des arrêtés préfectoraux fixent le calendrier de cueillette et, par ricochet, celui des sorties organisées par Josie, « en gros de mai à octobre ». Une exception à la trêve hivernale : « l’osmondis, au goût de poivre et d’huître -un régal, mais à consommer avec modération– se trouve en hiver. » C’est une des chouchoux de Josie avec le wacamé, « une non-bretonne cultivée par la société malouine C-Weed Aquaculture et qui a essaimé, pour le plus grand bonheur des amateurs d’algues. C’est une de mes préférées, avec la laitue de mer. »
texte Béatrice ERCKSEN / photos © Gérard CAZADE
estran : partie du littoral qui se découvre à marée basse
l’algue est fixé au rocher par un crampon. Au-dessus, la tige s’appelle le stipe. Puis vient la lame ou fronde, que l’on coupe.
Vit Algues, l’association de Josie , pour connaitre les dates des sorties et des ateliers. Contact : 0673795950
C-weed, l’entreprise malouine qui cultive et récolte les algues
Référencement de 22 algues, calendrier des collectes, recettes de cuisine : le guide des algues de l’estran par Régine Quéva, Récréation Edition (8€)
Quelques algues faciles à trouver
La laitue de mer et l’entéromorphe sont des algues vertes de la famille des ulves. La première contient 10 fois plus de fer que l’aliment le plus riche, et 700mg de magnésium pour 100g. La seconde apporte 50 fois plus de calcium qu’un produit laitier.
Les algues rouges comme l’agar-agar sont utilisées en cuisine pour leurs gélifiants. La dulse apporte des protéines, du manganèse, du potassium et du chrome. Le nori est la plus riche en protéines
La laminaria digitata a un goût légèrement fumé. Riche en fibres, elle doit être consommée avec modération car, comme toutes les algues brunes, elle contient beaucoup d’iode. La laminaria saccharina (kombu royal) favorise la digestion
Pour ceux qui n’ont pas la chance de pouvoir cueillir les algues, Josie vend sur les marchés des mélanges cultivés, récoltés et séchés par C-Weed Aquaculture et Biocéan.
Merci de nous éclairer sur les différentes possibilités et variétés des algues.
Merci à Béatrice de nous présenter ces belles rencontres et découvertes variées dont nous sommes parfois tout proche sans les connaître.
Merci à toi Martine d’avoir bien voulu nous raconter tes cueillettes et tes préparations. Bises!