5 septembre 2024

Émily, la dame aux arbres

By In Portrait

Il y a des passions profondes. Qui prennent racine et ne vous lâchent plus. Celle d’Émily est née dans le jardin familial, à Plouër-sur-Rance, « un terrain en friche que mes parents ont au fil des ans transformé en jardin extraordinaire », raconte-t-elle. « Ce jardin, c’était toute leur vie. Pendant des décennies ils ont planté, sarclé, amendé, taillé. Mon père, qui travaillait dans la restauration, y passait sa coupure quotidienne d’après-midi. Je l’accompagnais souvent. Je le regardais entretenir son paradis. Je ne participais pas forcément : je n’avais pas, comme mes parents, ce besoin viscéral de mettre les mains dans la terre. Mais j’y ai appris à contempler. À prendre le temps. À écouter. À voir la nature rejaillir après chaque hiver, et à m’en émerveiller. Dans ce jardin et à travers le regard de mes parents, j’ai cultivé mon amour de la nature. »

Émily a grandi à l’ombre de ce jardin et de ses deux chênes pédonculés qu’elle aime « avec tendresse. Ce sont les arbres que je préfère, sourit-elle. L’un balèze, l’autre chétif, va savoir pourquoi, alors qu’ils ont été plantés en même temps il y a 80 ans, à 6 mètres de distance. » Adulte, elle a choisi de mettre la protection de la nature au coeur de sa vie. Elle en a même fait son métier : Émily est gérante d’une coopérative dont l’arbre est le héros, pour en pérenniser la place sur notre territoire. « C’est fantastique un arbre : il respire et nous fait respirer, il héberge des tas d’espèces, il nous nourrit, nous protège, nous abrite, nous chauffe…Il est là, à côté de nous, sans qu’on y prête beaucoup attention alors qu’il nous est essentiel. »

Alors Émily et ses 16 collègues protègent, plantent, entretiennent, valorisent en s’appuyant sur les 100 sociétaires de leur SCIC*, ces particuliers, agriculteurs, collectivités convaincus de l’importance de l’arbre. Via le programme Breizh bocage, la coopérative participe par exemple depuis 2010 à la replantation des haies bocagères « en reconstituant du talus et en replantant de l’arbre de bocage : chêne pédonculé, noisetier sauvage, néflier, sureau… » Pour valoriser ces haies qui favorisent la biodiversité et l’infiltration de l’eau dans la terre, amendent les sols, créent des ombrages pour le bétail, restaurent les paysages, « on rémunère les agriculteurs pour les coupes d’entretien qui vont alimenter des réseaux de chaleur. En lui donnant une vocation économique, on est en train de réhabiliter l’arbre sur les exploitations et de reconstruire le lien qui le liait à l’agriculteur » se réjouit Émily, qui court les lycées agricoles pour convaincre les futurs paysans.

Mais le public préféré d’Émily, ce sont les enfants. Ils sont la relève qu’elle espère, celle qui saura prendre soin de la nature. « Je crois en eux. Ils me surprennent et m’émeuvent. J’adore ces moments qu’on passe ensemble » À Saint-Malo, les primaires de la Cité, de Legatellois et d’autres établissements ont le bonheur de cotoyer durant l’année scolaire celle qu’ils appellent « la dame aux arbres ». « Pour qu’ils s’imprègnent de la présence des arbres », Émily les emmène en promenade. Nul besoin d’aller loin, les arbres sont là, autour d’eux : dans la cour de l’école, sur le trottoir, dans le parc à côté. Libres ou contraints, majestueux ou déplumés, « les arbres ont un nom, des racines, une histoire. Ils sont source de joie et c’est presque un choc pour certains de prendre conscience de ce plaisir simple, à portée d’yeux et de main. » Avec Émily, les enfants apprennent à regarder. Ils s’arrêtent sous les arbres, touchent leurs troncs, sentent leurs feuilles, découvrent leurs caractéristiques, imaginent parfois leur histoire  : « que font ce laurier et ce figuier dans le parc des Corbières ? Qui a bien pu les planter, et pourquoi ? » demande Émily. Les réponses des petits Malouins fusent : « peut-être que celui qui l’a fait était un cuisinier ? Ou un gourmand ? Peut-être que c’est un marin ou un voyageur qui les a ramenés ? »

Au fil des sorties, les enfants se familiarisent avec ces voisins étonnants et bienveillants, apprennent à les nommer. C’est important, d’utiliser les bons termes ? De différencier un châtaignier d’un tilleul? « Si on part du principe qu’on ne protège que ce qu’on connaît, alors oui, c’est important, dit Émily. Un chêne chevelu et un chêne liège, ce n’est pas la même essence. Je leur apprends aussi à regarder et écouter les oiseaux qui vivent en ville, le pinson, le rouge-gorge…Une dizaine sont faciles à identifier. Quand on s’arrête sous un arbre et que je leur dis « écoutons », tout le monde se tait. Ça me réjouit toujours quand on sait combien il est difficile d’obtenir le silence d’une classe…Dans notre monde en mouvement, être en capacité de faire une pause pour capter le chant d’un oiseau ou la murmuration des étourneaux, pour caresser le tronc d’un arbre et s’imprégner ainsi de ce qui nous entoure, c’est une chance. En s’attachant aux espèces et essences dont certaines racontent l’histoire de Saint-Malo, les enfants s’enracinent dans leur territoire. »

Émily l’amoureuse des arbres, des forêts et des haies bocagères a choisi de vivre à Saint-Malo, intra-muros de surcroît, au coeur du vaisseau de pierre. Un non-sens ? « Moi, je suis verte et bleue, rit Émily. Gamine, j’ai été appelée par cette ville qui me fait toujours le même effet : lorsque je rentre de la campagne de Tréméreuc où je bosse et que j’arrive à Saint-Malo, je ressens une énergie folle : celle de la mer. Mon jardin malouin c’est la plage du Môle, au bout de ma rue.

Bien sûr, le manque de vert intra-muros me brime, je rêve qu’on laisse davantage de place aux plantations, à la végétalisation des pieds de murs et à l’herbe folle… » En attendant ce jour, Émily diffuse un message en forme de mantra : « plantez, plantez, plantez ! Sur votre balcon, dans votre jardin, sur vos terres agricoles, en ville…Je sème des graines, sourit-elle. Après, chacun en fait ce qu’il veut, ça ne m’appartient pas. »

Texte : Béatrice Ercksen Photos : © Gérard Cazade

* société coopérative d’intérêt collectif ENR bois & énergie pays de Rance

2 commentaires
  1. DUTHION EMILY 5 septembre 2024

    Une belle histoire que cette rencontre généreuse avec Béatrice, sa proposition de portrait, et enfin, trouver les mots justes pour parler d’une partie de soi et de mon amour des Arbres et de la transmission !
    Une chouette aventure dans le vent de ces dernières semaines !
    Merci à Malouin(e) suis! wwww.malouinsuis.com et © Gerard Cazade Photographies

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    • beatrice 5 septembre 2024

      Malouin(e) suis, c’est toujours de belles rencontres. On en a de la chance…Merci Emily!

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