Un jeune Américain heureux de vivre dans ses montagnes enneigées pourrait se transformer d’un coup en Malouin pur beurre? Bien sûr que oui. Il suffit pour ça d’une vraie baguette magique, par exemple la lecture d’un grand livre.
Il était une fois Brendan, un jeune Américain du New Hampshire, à la frontière du Québec. Brendan aime la neige, le snowboard, les randonnées en montagne, l’histoire et la lecture. Le roman qu’il emporte dans sa valise pour ses vacances californiennes, en cet été 2015, s’appelle Toute la lumière que nous ne pouvons voir. Écrit par l’auteur américain Anthony Doerr, il vient de recevoir le prestigieux prix Pullitzer. C’est le livre préféré de Barak Obama, et la mère de Brendan lui en a conseillé la lecture. Elle a beaucoup aimé ce récit qui se passe pendant la Seconde Guerre mondiale, et pense qu’il plaira à son fils. L’histoire se déroule en France, et Brendan s’est justement mis à l’apprentissage du français.
Un coup de foudre
La mère de Brendan n’imaginait certainement pas à quel point le manuscrit allait chambouler la vie de son fils. Sa lecture fut un coup de foudre. « J’ai adoré, raconte Brendan. Tout me plaisait : l’histoire, la façon dont l’écriture sublime les paysages et les émotions… Et cette ville historique que l’auteur décrivait si bien, elle semblait extraordinaire. J’avais envie de la connaître. » Cette ville qui accueille Marie-Laure, l’héroïne du livre, cette ville dévastée après les bombardements alliés, c’est Saint-Malo. « Je suis tout de suite allé voir sur le net à quoi elle ressemblait. J’ai cliqué sur une photo de la vieille ville et des remparts vus du ciel, et je me suis dit que c’était quand même chouette qu’il existe des endroits aussi beaux sur terre. Ça m’a donné envie de voir le monde. »
Saint-Malo se rapproche
Et Brendan est parti. À Montréal d’abord, où il rencontre Rosie qui, il n’y a pas de hasard, adore également Toute la lumière que nous ne pouvons voir. Les amoureux veulent aller en France, choisissent Grenoble, près des montagnes si chères à Brendan. Ils sont étudiants. Ils visitent enfin Saint-Malo en 2017, à la faveur d’un séjour chez les parents britanniques de Rosie, installés en Normandie. L’excursion ne dure qu’une petite journée, mais elle laisse des traces. « J’ai trouvé que la ville était encore plus belle en réalité qu’en photo. » Même si l’intra-muros est traversé au pas de charge en raison d’un afflux touristique que Rosie a du mal à supporter. « Nous sommes finalement allés à la cité d’Alet. Ça me plaisait aussi : après tout, c’était ici que la vraie bataille pour libérer Saint-Malo avait eu lieu. On a marché jusqu’à Dinard, et on est revenu en bus de mer. C’était magique. Nous n’imaginions pas vivre ailleurs qu’à la montagne, mais pour visiter les lieux du roman, déjà, il fallait revenir. Et nous nous sommes dit qu’une vie à Saint-Malo… »
Le rêve devient réalité
Revenir… Pour Rosie, pas de problème : elle est graphiste à son compte et ses valises sont prêtes. Brendan, lui, doit trouver un travail. Il se met à dévorer les petites annonces, découvre un jour qu’une entreprise malouine recherche un profil qui lui correspond. Il répond, il est reçu, écouté, et bientôt, il touche le graal ! En avril 2021, il est embauché. La venue à Saint-Malo est un voyage de fête, accompli au son de Toute la lumière que nous ne pouvons voir qui passe sur le lecteur CD de la voiture en livre audio.
Cette fois, ils ont le temps. Le livre en main, le coeur battant, prêts à scruter les pierres et les mots. La rue Vauborel ? Elle est là, en bas de la ville, courte et silencieuse. Marie-Laure Leblanc habitait au 5e étage du numéro 4. Sa maison n’est plus là. Tout a été reconstruit. L’hôtel des Abeilles où logeait Werner, le jeune soldat allemand, n’a jamais existé mais Brendan l’imagine à la place de ces immeubles appuyés sur les remparts. À quelques pas, la grotte de « ce fou d’Hubert » est redevenue le chenil des chiens du guet. La rue de la Crosse a gardé son nom. La plage du Môle, où Mme Manec emmenait Marie-Laure s’enivrer d’océan, est toujours là, si belle. Brendan est heureux. Il est conquis. Il est chez lui. Comment supporter un bonheur pareil ? En plantant profondément ses racines. Il se lance dans une chasse aux trésors qui lui fait découvrir la cité corsaire d’hier et d’aujourd’hui, celle d’avant le grand incendie de 1661 (« qu’est-ce qu’elle était belle! »), celle de l’avant-guerre (« elle était redevenue magnifique ! ») et celle de notre époque (« quelle chance, cette reconstruction fidèle! »).
Il arpente son nouveau territoire et l’agrandit, annexant joyeusement Paramé, la Varde, les plages sauvages de Saint-Coulomb. Il aime tout. « C’était un peu irréel. J’allais vivre dans la ville qui me fascinait, ma ville de coeur. » A-t-il dû faire le deuil des montagnes et du snowboard ? « J’avais peur de quitter la neige, mais j’ai compensé en pratiquant le skate à Marville et en me mettant au surf : le plaisir de la glisse est toujours là ! ».
L’ancrage
Brendan l’Américain est devenu malouin, et entend bien le rester. Il a acheté une maison qu’il retape avec Rosie dans une commune proche (« on aurait préféré Saint-Malo, mais on n’a pas trouvé »). La période de la Seconde Guerre mondiale le fascine toujours autant, et il prend toujours plaisir à marcher sur les pas de Marie-Laure. Il a bien sûr postulé à un rôle de figurant -un GI, what else ?- pour le tournage à Saint-Malo de la série Toute la lumière que nous ne pouvons voir, en 2022. Il n’a finalement pas pu en être. Pourquoi, demandez-vous ? Ah, on ne vous a pas dit : au moment du tournage, Brendan et Rosie se mariaient. À Saint-Malo bien sûr, dans ce château que Brendan aime tant, puis en Normandie avec les familles au complet. Une petite Lily est venue depuis agrandir la famille.
Elle ne pouvait naître qu’à Saint-Malo.
Texte : Béatrice Ercksen – Photos : © Gérard Cazade
Ce n’est pas à la portée de tout le monde de pouvoir écrire une histoire somme toute simple et de la rendre intéressante.
Ce n’est pas à la portée de tout le monde de pouvoir photographier une histoire somme toute simple et de la rendre belle.
Antoine, alors ça c’est un commentaire vraiment sympa! Merci beaucoup…