21 octobre 2022

Le coeur de Saint-Malo bat dans le carnet d’Anne-Marie

By In Portrait

Le son de l’ordinateur a fait bondir Anne-Marie. « Bateau à quai ! » dit le mail. C’est un ami attentif, un copain de dessin, une vigie sympa, qui l’a envoyé. « Il vit intra-muros. Comme je n’habite pas près du port, il est mes yeux », s’amuse Anne-Marie. La Malouine prend son matériel et file sur les quais pour saisir sur le vif cargos, catamarans de course, et surtout vieux gréements … « L’arrivée des bateaux rythme ma vie ».

Unique et personnel

Anne-Marie est carnettiste. Elle crée des carnets de voyage, in situ, dans le monde entier, et surtout à Saint-Malo, sa ville de coeur et son port d’attache. C’est quoi, un carnet de voyage ? Un journal de bord ? Un journal intime ? Un carnet de croquis ? Un reportage ? Un recueil de souvenirs ? « Ça peut-être tout ça, et c’est surtout ce qu’on veut, apprécie Anne-Marie. Le carnet de voyage est un objet unique et personnel. On peut le customiser, y dessiner, raconter ce qu’on voit, ce qu’on sent, ce qu’on ressent, y intégrer des collages, des empreintes, des calligraphies. » Mis en lumière ces dernières années par des voyageurs, des artistes et aventuriers célèbres, le carnet de voyage ne date pourtant pas d’aujourd’hui : les peintres -Albrecht Dürer et Eugène Delacroix-, les écrivains -Victor Hugo et Gustave Flaubert- , les explorateurs le pratiquaient avec bonheur. Même les fameux carnets de Léonard de Vinci mêlant croquis, plans et textes, sont considérés par certains comme les premiers carnets de voyage. Les conflits eux-mêmes ont été des pourvoyeurs : « de nombreux carnets de poilus de 14-18 sont exposés au musée de l’Armée, à Vincennes, poursuit Anne-Marie. Ces carnets de guerre étaient pour eux la seule façon de témoigner de ce qui se passait dans les tranchées. »

Carnet de vie

Son premier carnet, Anne-Marie s’en souvient comme si c’était hier : « il y a 20 ans, je suis partie en Mauritanie avec une agence spécialiste du voyage d’aventure. J’avais envie de voyager différemment. Tout était nouveau pour moi : le séjour organisé, le sac à dos, la vie au grand air et le carnet que j’avais décidé d’emmener pour lui confier mes impressions, mes rencontres, mes dessins. Je ne savais pas vraiment dessiner ; je prenais des cours du soir, après le travail, pour apprendre les techniques de peinture, mais bon… Je ne sais pas si j’ai voyagé en dessinant, ou dessiné en voyageant. Mais j’ai vécu un séjour intense, rencontré des gens merveilleux : quand on se pose pour dessiner, dans tous les pays, les gens viennent vous voir, regardent ce que vous faites, échangent avec vous. Le dessin génère une curiosité bienveillante. Mon regard sur les paysages, les monuments, les personnes n’a certainement pas été celui que j’aurais eu si j’avais voyagé de façon plus classique, en prenant simplement des photos.Quand j’ouvre aujourd’hui ce carnet mauritanien, je revis ce fabuleux séjour. Ses couleurs, ses odeurs, son atmosphère me reviennent en mémoire. »

À partir de ce voyage initiatique, le carnet de voyage est devenu le compagnon d’Anne-Marie, où qu’elle aille.

L’invitation au voyage

Même à Saint-Malo. Surtout à Saint-Malo. On peut donc voyager dans sa ville ? « Bien sûr ! Pas besoin d’aller à l’autre bout du monde pour être transporté et réaliser un carnet de voyage. On peut même en créer depuis chez soi. Certains voyages immobiles ou imaginaires sont magnifiques. » Mais quand on est carnettiste et qu’on a la chance de vivre dans une ville « inspirante comme Saint-Malo, mouvante au gré des marées, des lumières, du ballet des bateaux, des visiteurs », on ne laisse pas passer cette chance. Peut-être avez-vous aperçu la Malouine lors d’une de vos promenades, assise sur un bollard, un quai pendant la Route du Rhum, la plage du Sillon ou la pelouse de la Briantais, crayon ou plume à la main, carnet sur les genoux…À l’aquarelle, à l’encre de chine, au bic, au brou de noix, elle dessine le cimetière marin de Quelmer, les brise-lames du Sillon, le Joseph Roty de la Compagnie des pêches, les vraquiers du bassin Duguay-Trouin, croque un pêcheur rencontré au bord d’un bassin, note une impression, une odeur, et même l’adresse mail d’un promeneur : « j’inscris en marge de mes dessins le contact des personnes que je peux rencontrer. Là, j’ai noté à côté d’une aquarelle le téléphone d’un photographe croisé à Quelmer, en septembre. On a discuté de l’Islande, qu’il connaît parfaitement. Si j’ai envie de m’y rendre un jour, je sais que je pourrai l’appeler pour préparer mon déplacement. C’est aussi ça, un carnet de voyage. Des moments de vie pris sur le vif, des émotions, des rencontres, du partage. »

Paré à la magie

La Route du Rhum est pour cela une occasion idéale. Depuis 2014, Anne-Marie croque les voiliers dans les bassins, restitue l’atmosphère de la course, raconte les rencontres qu’elle y fait. « C’est un moment magique, excitant, que j’attends avec impatience et qui me remplit d’énergie pendant des mois, s’enthousiasme-t-elle. Je me lève tôt pour me rendre sur le village, je me balade, je me pose sur un quai. Je suis dans ma bulle et en même temps dans une ambiance extraordinaire, au milieu des skippers et des visiteurs. Des conversations s’engagent. Des navigateurs signent le dessin de leur bateau, comme Loïck Peyron au-dessus du croquis d’Happy, son petit trimaran jaune… » Des pages tellement réussies qu’elles sont devenues exposition : colorées, pleines de vie, elles animent les murs de la galerie Sadecc et y restituent l’atmosphère de la fête.

Le partage

Saint-Malo, ville de voyageurs, doit forcément regorger de carnets, dans les rayons des bibliothèques, les malles et les placards… « Eh bien non, et c’est vraiment étonnant !, s’exclame Anne-Marie. Les Malouins sont des découvreurs, des marins, des pêcheurs, et ont paradoxalement ramené peu de carnets de voyage. Lorsque j’ai cherché à rencontrer d’autres carnettistes il y a quelques années, pour travailler en commun, j’ai trouvé peu de pratiquants. » Les choses sont en train de changer : Anne-Marie et Sylvie, une amie passionnée, ont créé Les pinceaux de Saint-Malo. Elles y partagent leur savoir-faire, leurs techniques, leurs astuces, acquis au fil du temps et auprès des grands carnettistes français. Anne-Marie est également à l’origine des Croqueurs de Saint-Malo, un groupe informel qui se retrouve régulièrement pour dessiner. Un lieu et une date sont proposés sur les réseaux sociaux. Vient qui veut. Dans ces rendez-vous, « pas de lien prof/élèves. Juste le plaisir d’être ensemble, de partager. » 

Texte : Béatrice Ercksen – Photos : © Gérard Cazade

Exposition Les courses du Rhum en peinture, Anne-Marie Glaharic. Galerie Sadecc, 37 quai Duguay-Trouin, jusqu’en décembre 2022

1 commentaire
  1. FLEURET 21 octobre 2022

    Un grand bravo, Béatrice et Gérard, pour votre très beau portrait d’Anne-Marie. Je ne crois pas la connaître mais j’espère pouvoir la rencontrer un de ces jours.

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