Savez-vous ce qui fait battre le cœur de Saint-Malo, ce qui coule dans ses veines, lui donne ses couleurs et sa joie de vivre ? Pour Alain, artiste-peintre, c’est évident, simple et précis : c’est très très très … vagues.
Saint-Malo, pour Alain,c’est d’abord une histoire de famille : « nous vivions à Combourg, mais nous avions des parents ici et nous venions dès que nous le pouvions, à la plage l’été, à la Sainte-Ouine l’hiver. C’était notre port d’attache », se souvient-il. Le gamin grandit, étudie, est embauché à la Banque de France et muté à Saint-Malo. Nous sommes en 1966, Alain est banquier la journée, peintre le soir et le week-end et, pour son plus grand bonheur, Malouin tous les jours, au coeur de « la plus belle baie du monde ». Alain peint la ville, le port, et la mer. Mais pas n’importe laquelle : la mer d’huile et le gentil clapot l’indiffèrent. Ce qui intéresse Alain, ce sont « les vagues et leur mouvement ». Qu’elles soient légères, imposantes, de fond, qu’elles se fracassent sur les brise-lames, explosent au large en gerbes d’écume ou s’échouent sur la plage. Il croque leurs danses à grands traits, sur le carnet qui ne le quitte pas. De ses esquisses naissent des peintures qu’il compose la nuit, dans sa tête, avant de « se laisser embarquer par le premier coup de pinceau, qui décide de tout le reste. »
La seconde passion d’Alain, c’est le bleu, omniprésent dans son œuvre. Sur sa palette, le cyan, le bleu de Prusse ou d’outremer, le cobalt font partie des 7 ou 8 bleu qu’il assemble à sa manière, qu’il « lâche ou calme » pour raconter les nuances infinies des vagues et des ciels d’ici. Des bleu « comme je les aime, tendres, bleu-gris, émeraude, typiquement malouins. J’ai bien essayé de mettre moins de bleu sur mes toiles, mais je n’ai pas réussi. Ça revient toujours, s’amuse-t-il . Même mes noirs sont réalisés à partir de bleu. »
Alain quitte la cité corsaire en 1972, avec femme et enfants. La famille bourlingue au gré des mutations, tout en gardant un pied et le coeur dans la région malouine, « notre point d’ancrage indispensable. » Alain expose à Saint-Malo, dans le Finistère, à Paris, achète une galerie rue des Grands degrés où il expose ses œuvres, pendant quelques années. Il peint Venise, Paris, les troménies*, les marchés, les terrasses de café…« J’ai eu mes périodes, sourit-il. Mais je n’ai jamais cessé de peindre Saint-Malo, mon fil conducteur, comme le château de Combourg a été celui de mon père artiste-peintre. »
En bon Malouin, Alain se découvre explorateur : il multiplie les techniques, découvre la gravure à Paris où il travaille plusieurs années. Sous son pinceau, l’huile a rapidement laissé place à l’acrylique, « qui sèche vite et répond mieux à mon impatience », mais le support n’a pas changé : il peint sur des vieux draps « au tissage grossier », en lin ou chanvre, qui donnent un relief particulier à ses paysages. « J’en ai récupéré un gros stock dans un grenier, il y a des années, mais j’arrive au bout et il devient de plus en plus difficile d’en obtenir. Les gens qui me connaissent m’en proposent de temps en temps, quand ils en trouvent, mais le tissage est souvent trop serré à mon goût. »
Et puis un jour, les toiles ont accueilli un public : les baigneurs ont fait leur apparition parmi les vagues. Ils sont saisis épaules levées lorsque l’eau frisquette passe la ceinture, tête rentrée dans l’attente d’une vague qui les frappera de plein fouet, en extension pour passer la crête écumante d’une lame avant qu’elle retombe…Aux bleu chers au peintre se marient les couleurs vives des maillots de bain, des serviettes de plage et des parasols. On entend presque le cri des goélands et les rires des enfants qui jouent sur les plages du Sillon ou de la Hoguette. L’été de Saint-Malo est bien là, joyeux, coloré, bon enfant. Un Saint-Malo pas forcément fidèle à la réalité mais « évoqué et interprété selon ma sensibilité. Je prends les libertés que je veux avec les lieux, même s’ils sont bien reconnaissables. »
Comme le sont les brise-lames qu’Alain dessine avec passion, à l’acrylique sur ses tableaux, au fusain sur un lai de tapisserie qui habille le mur de sa véranda, et même sur la porte de son atelier, qu’il trouvait moche : « j’aime leur architecture. La façon dont ils sont travaillés par la mer me fascine. »
Depuis plusieurs années, le retraité heureux partage son activité artistique : « la gravure et le dessin à Paris, où je passe une partie de l’hiver, la peinture à Saint-Malo, où se trouve mon atelier. » Fidèle à ses promenades sur le Sillon et aux baigneurs inspirants « qui m’ont manqué pendant le premier confinement. Ma balade de 1 km m’amenait jusqu’à la digue et aux grilles qui interdisaient l’accès à la plage et à la mer. Il n’y avait pas un chat. J’en ai eu tellement marre de ne voir personne que je me suis lâché : j’ai peint une toile avec du monde partout », rit Alain.
Texte : Béatrice Ercksen Photos : © Gérard Cazade
Alain expose du 4 juin au 30 juillet 2022 au centre Patrick Varangot, 37 av. du RP Umbricht. Entrée libre
Retrouvez ses œuvres sur alainfleuret.fr
*troménie : type de pardon breton. Les troménies de Locronan sont les plus connues