2 mars 2022

Aude et la vie en roses

By In Portrait

Aude la fleuriste confie ses étals sur les marchés de Saint-Malo à sa fille Elsa, pour regarder pousser les roses anglaises de son jardin.

Alors Aude, fleuriste à Saint-Malo, c’est comment ? « Formidable », dit la commerçante avec un grand sourire, épanoui bien sûr. Rien de prédestinait pourtant cette Parisienne diplômée de l’École supérieure des Arts modernes à embrasser ce métier. Rien, si ce n’est l’envie de découverte, la tentation du challenge et le goût des autres qu’elle partage avec Éric, son mari et compagnon d’aventure. On les a donc connus tenanciers de bar rue du Puits aux braies, propriétaires d’une pizzeria rue des Cordiers , fleuristes rue de l’Orme puis sur les marchés. Ils sont comme ça, Aude et Éric : ils aiment virer de bord, mais en restant fidèles à Saint-Malo, leur port d’attache.

Un métier pas comme les autres

Lorsque les amoureux ouvrent leur boutique joliment baptisée Quand les fleurs s’emmêlent,à la place de la boucherie Boutruche, Aude est ravie : « j’adore les fleurs qui m’accompagnent depuis que je suis petite. Il y avait toujours des fleurs fraîches dans la maison de mes parents, et étudiante, je m’en achetais dès que j’avais un peu d’argent. Alors devenir fleuriste, même sur le tard, résonnait avec quelque chose de profond en moi, et avec ma formation. J’allais pouvoir laisser libre cours à mon penchant prononcé pour les couleurs, le graphisme, la création. » Elle découvre surtout un métier pas comme les autres, une relation privilégiée avec les clients, puisque, décidément, « on ne vend pas des fleurs comme on vend un autre produit. Elles sont magiques. Par leur beauté, leur fragilité, elles font naître une émotion particulière chez les personnes qui les aiment. Quand je reçois un client dont je sens qu’il éprouve comme moi cette émotion, ça crée un lien, une complicité qui se transforme parfois en amitié. C’est ainsi que certains de nos clients sont devenus de vrais potes. »

Dites-le avec des fleurs

Ce qu’elle aime, Aude, ce sont justement ces moments magiques, de complicité ou d’émotion, que les fleurs génèrent. C’est un gamin entrant dans la boutique avec 2 ou 3 euros en poche au moment de la fête des mères, qui s’extasie devant une fleur hors de portée de son petit budget. « Que voulais-tu qu’on lui dise ? Qu’il n’avait pas assez d’argent pour offrir cette belle fleur à sa maman ? Ben non…On lui a dit de garder ses sous, on a fait un joli emballage et on l’a regardé partir avec sa fleur et son sourire jusqu’aux oreilles. » Ce sont ces mamans, ces grands-mères cueillies au saut du lit les matins de fête des mères : « j’adorais ce moment où, à 8h, je sonnais et que la porte s’ouvrait sur une femme parfois encore en pyjama. J’attendais la naissance du grand sourire lorsqu’elle découvrait le bouquet. Ça me donnait à moi aussi la banane pour la journée. C’est génial de faire plaisir, on y prend goût ! » Est-ce pour cela que nos fleuristes malouins aiment tant les mariages ? « Sûrement. On participe nous aussi à rendre ces journées exceptionnelles, dans des lieux parfois extraordinaires. On adore par exemple intervenir à l’hôtel d’Asfeld. C’est un endroit fabuleux, et ses propriétaires, Jeanne et Olivier de la Rivière, sont toujours de bonne humeur. »

On vire de bord

Dans la rue de l’Orme, « la rue la plus sympa d’intra », la vie est joyeuse. « Il y avait une belle ambiance entre commerçants. On se donnait des coups de main, on mutualisait les livraisons, on se marrait. C’était vraiment convivial. » Il y a 6 ans, Aude et Éric ont eu envie de lever le pied, sans quitter pour autant la vente et ces fleurs qu’ils aiment tant. Ils ont vendu la boutique et sont devenus commerçants des marchés, un monde « totalement différent du magasin » et auquel ils se sont vite acclimatés. Éric gère les marchés de Saint-Servan les mardi et vendredi, Aude ceux d’intra-muros les mêmes jours et de Rocabey les jeudi et samedi. Et pas ceux de Paramé ? « Il n’y avait plus de place dans la halle quand on s’est lancé, explique Aude. On a essayé l’extérieur, sous un barnum, mais on a perdu trop de fleurs avec les intempéries. Alors le mercredi, on fait comme les enfants : on reste à la maison ! »

Les marchés

« On côtoie des clients totalement différents selon les marchés, et même, sur un même marché, selon les jours de la semaine. » La clientèle d’intra-muros n’est pas celle de Saint-Servan ou de Rocabey. Et celle de Rocabey n’est pas la même le jeudi et le samedi. Elle n’achète pas les mêmes fleurs, et n’a pas le même pouvoir d’achat. « La fleurette -tulipe, anémone, renoncule…- se vend bien à Saint-Servan et surtout intra-muros, où je vends aussi des roses haut de gamme. J’ai moins de clients qu’ailleurs, mais ils ne regardent pas au prix. Ceux qui dépensent le moins sont les clients du jeudi, à Rocabey. Il nous arrive de vendre simplement une rose à 2€…et c’est très bien : l’important est que les gens achètent des fleurs, se fassent plaisir ou fassent plaisir en les offrant. »

Langage des fleurs

Et si les marchés malouins étaient des fleurs ? « Saint-Servan serait le solidago, répond sans hésiter Elsa, la fille d’Aude et Eric. Une plante qui ressemble au mimosa, avec une multitude de petits boutons jaunes. C’est comme ça que je vois le marché de Saint-Servan, mon préféré : gai, avec du peps et plein de monde. » Intra-muros ? « Il pourrait être un hortensia, mais aussi une rose  David Austin, élégante et odorante, poursuit Aude. D’abord parce que la clientèle de ce marché est assez âgée et sensible à ce genre de fleurs ; ensuite parce que c’est là, surtout, que j’offre de temps en temps une rose ancienne de notre jardin aux gens que j’apprécie, qu’ils soient clients réguliers ou pas. » Rocabey ? Mère et fille réfléchissent, se regardent, avant de tomber d’accord : « ce serait un lys. C’est une fleur qu’on vend bien ici, et son architecture rappelle celle de cette halle : une hampe droite, et des fleurs qui partent de chaque côté. »

Les copains d’abord

Au marché, il n’y a pas que les clients qui comptent. Il y a aussi Olivier, un des placiers, Hugues le fromager, Pascal le bouquiniste, Jean-Louis, le vendeur de foie gras…bref, les potes des étals alentours jamais avares d’une blague, d’un sourire, sur lesquels Aude sait pouvoir compter et qui font supporter le client qu’on aimerait pouvoir envoyer sur les roses (ça peut arriver), les matins froids et les pieds gelés, quand on se rêve au fond du lit. Le marché terminé et les invendus rangés dans la camionnette, les copains se retrouvent autour du pâté, du pain et du rosé. Elsa a vite trouvé sa place dans la bande. C’est elle qui reprend l’affaire de ses parents, pour leur plus grande joie. « Elle nous l’a annoncé il y a un peu plus d’un an, se réjouit Aude. Depuis, nous sommes à ses côtés pour que le passage de flambeau se passe bien. » Aude est rassurée : Quand les fleurs s’emmêlent est entre de bonnes mains. Vertes, bien sûr.

Elsa reprend la barre

Texte : Béatrice Ercksen Photos : © Gérard Cazade

Retrouvez les compositions d’Elsa sur instagramm : elsa.quandlesfleurssemmelent

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