Marc voulait depuis son enfance devenir un corsaire malouin. Une utopie, au 21e siècle ? Non, l’histoire vraie d’un rêve accompli avec Denise.
Il y a des vocations dont les racines puisent profond. Celle de Marc remonte à ce jour inoubliable où, par le trou de la serrure du salon familial, il a découvert « Surcouf, le tigre des 7 mers » sur le petit écran. Marc avait 8 ans, aurait dû être au lit, et a été comme foudroyé par l’évidence : Robert Surcouf était un corsaire unique, fabuleux, et le port où il vivait devait être l’endroit le plus merveilleux au monde. C’est ainsi que Saint-Malo devint la ville de cœur du petit Havrais fasciné.
La vie s’est écoulée, avec ses hauts et ses bas, sans que Marc abandonne la promesse faite à l’enfant qu’il était : un jour, juré craché, il irait vivre à Saint-Malo. Il a bossé, a rencontré Denise et l’a épousée. Le temps a passé, sans que Marc touche son rêve du doigt. Il y avait tous ces beaux reportages à la télé sur la cité corsaire, dont Marc se régalait, mais bon…Saint-Malo n’est pas si loin, mais pour voyager, il faut avoir des sous.
Saint-Malo en vue!
En 2002, Denise a décidé qu’il était temps d’agir : « Denise m’a annoncé qu’elle avait réservé un hôtel à Saint-Malo pour le week-end, se souvient Marc avec émotion. C’était un cadeau merveilleux et inespéré. On prévoyait de prendre la route avec notre vieille R11, proche de l’épave. Je travaillais chez Ada à l’époque ; quand il a appris qu’on partait pour Saint-Malo, mon patron, qui connaissait mon rêve, m’a prêté une voiture. Il voulait être sûr qu’on arrive à bon port… » À défaut de cotre corsaire, les amoureux ont débarqué en Smart. Alors Marc, l’arrivée à Saint-Malo? Pas déçu ? « Déçu ? Ah non ! Ça a été un des plus beaux jours de ma vie ! On est arrivé par l’écluse du Naye, et les remparts sont apparus…Denise me disait : « Regarde ! Regarde les remparts ! » Je ne pouvais pas regarder comme je voulais, je conduisais ! C’est la première fois que ma femme m’a énervé », rit-il. Denise et Marc passeront deux jours à arpenter les rues d’intra-muros et les fameux remparts, « dont on a fait 5 ou 6 fois le tour. Je passais la main sur les pierres, et je te jure que j’ai ressenti des trucs…Je peux même dire que Saint-Malo m’a guéri : je suis arrivé avec une canne, je suis reparti sans. Je n’en ai plus jamais eu besoin. »Mais tout a une fin, surtout les week-ends de rêve. Marc et Denise quittent Saint-Malo, un sabre corsaire et une lithographie de Surcouf dans le coffre, des images plein la tête. Les souvenirs ont commencé à prendre la place des désirs.
On vire de bord
La vie reprend son cours. Elle est rude. Le couple change de ville au gré des nécessités économiques. Un matin, Marc tombe sur une petite annonce : « une dame en Bretagne, à Plérin, proposait une chambre contre un coup de main pour ranger son garage. On vivait à Dijon, je n’avais pas de boulot, Denise se remettait de sérieux problèmes de santé : je me suis dit que c’était l’occasion de retourner vivre au grand air, au bord de la mer. Qu’est-ce qu’on avait à perdre ? » Bien sûr, ce n’était pas Saint-Malo, mais « on s’en rapprochait quand même. » Marc et Denise s’installent donc en Bretagne puis déménagent quelques semaines plus tard à Plédran, dans une propriété dont ils assurent le gardiennage et l’entretien. Mais Plédran, ce n’est toujours pas Saint-Malo, et en 2017, le couple franchit le pas : il loue un logement dans la cité corsaire. « C’était un petit local face à l’hôpital. On n’avait pas beaucoup d’argent alors il était un peu miteux, il y avait un jour de plusieurs centimètres sous la porte qu’il fallait ouvrir en donnant un coup d’épaule. Mais on était chez nous, à Saint-Malo, avec les remparts et la mer à portée de main. On y venait dès qu’on le pouvait.» Quand Marc perd son boulot pour raisons médicales, après 9 ans de service à Plédran, le logement de vacances accueille le couple. Marc et Denise deviennent malouins à temps plein. Il aura fallu 50 ans.
Et Marc devint Capitaine R.H.U.M…
Habiter Saint-Malo, c’est génial, mais l’amour et l’eau fraîche, même salée , ne nourrissent ni son homme ni sa femme. Marc pointe à Pôle Emploi. « Les conseillères qui me suivaient, très gentilles, me tannaient pour que je trouve un projet professionnel. J’étais en train de regarder les images du lancement du Renard, j’ai dit que ce qui me plairait, ce serait de devenir le corsaire attitré de Saint-Malo. C’était vrai, mais je pensais qu’on me répondrait que ce n’était pas sérieux… » Et pourtant. Marc prend le nom de Rapace, devient le premier corsaire malouin intermittent du spectacle, sillonne la ville, d’intra-muros aux Bas-Sablons. Son costume ? « Un déguisement un peu toc commandé sur Amazon avec une petite aide financière, et un pantalon de jogging. » Ses accessoires ? « Un chapeau acheté 10€ sur l’Étoile du Roy, un baudrier fait avec une vieille ceinture. » Sa barbe ? « Les cheveux de Denise récupérés chez son coiffeur, que je me collais sur le visage avant chaque sortie. »
Pour le plaisir
Le projet professionnel a fait long feu. Comédien de rue ne fait pas vivre, « les gens pensaient que j’étais payé par la mairie, ils donnaient rarement. » Mais une vocation est née : « je me suis pris au jeu, j’ai tout de suite aimé le personnage que j’ai créé. » Marc a laissé tomber le métier.Depuis l’année dernière, il n’est plus corsaire pour l’argent, mais pour le plaisir, le sien et celui des autres. Le Rapace a changé de nom –« ça faisait peur aux enfants »- et est devenu Robert-Hugues de Uzel de Magoar, alias capitaine R.H.U.M. Il a troqué son déguisement fait de bric et de broc pour des costumes magnifiques .
Par amour pour son corsaire de mari, Denise s’est mise à la couture. « Je n’y connaissais rien, précise-t-elle. Mais les costumes coûtent tellement cher qu’on a pas eu le choix. J’ai acheté des patrons, cousu des galons sur des pantalons et des manteaux, créé des manchettes et des jabots avec des dentelles, transformé des chapeaux Chouan en tricorne… »
Tissus et dentelles viennent du marché ou de la boutique de La Croix Rouge, sabres et pistolets de chez l’armurier de la rue de Dinan, bagues et broches du Chat Bleu, un magasin de la Grand Rue. Par amour toujours, Denise est devenue capitaine La Hulotte : à force de suivre son corsaire de mari, elle a eu envie de faire partie de l’aventure. « Elle est plus mesurée que moi, heureusement, rit Marc ; elle me ramène sur terre et assure mes arrières. Parce que dès que je quitte la maison et que je pose mon tricorne sur la tête, je deviens capitaine R.H.U.M. Les problèmes de Marc Durand n’existent plus. » Et ça peut déménager.
« C’est fou ce qu’un corsaire avec un sabre et un pistolet au poing peut régler comme problèmes... J’ai aidé un jour un policier municipal un peu débordé par la circulation anarchique pendant une manif de motards : je me suis mis au milieu d’un giratoire en gesticulant et en hurlant « À l’abordage ! », ça a calmé tout le monde. »
A l’abordage!
Pendant la saison, les capitaines prennent d’assaut les wagons du Petit train, pour le plus grand plaisir des voyageurs. On les voit sur les quais, dans les rues d’intra-muros, sur les remparts, sur la plage, au marché, au supermarché : « ben oui, on va parfois faire nos courses costumés. Pendant le confinement, on sortait systématiquement en corsaire. On a été pris en photo par la police, remerciés par des personnes âgées depuis leurs fenêtres, qui nous ont dit « Vous nous apportez de la joie ! ». Il y a bien des trouble-fête, heureusement rares, pour leur glisser en passant qu’à leur âge, quand même…Au diable les pisse-froid ! « On sait qu’on rend les gens heureux, c’est ce qui compte. On se fait klaxonner quand on se promène, certains font 2 fois le tour du rond-point pour bien nous voir, s’amusent-ils. On nous prend en photo. On répond à toutes les sollicitations, gratuitement : enterrements de vie de jeune fille ou de garçon, anniversaires, animations dans les commerces… On demande juste aux gens de nous envoyer par mail les photos qu’ils prennent, pour notre page facebook. Notre récompense, c’est le plaisir qu’on donne et le sourire des enfants. »
La vie n’est pas toujours facile et la bourse n’est pas bien remplie, mais « on est heureux à Saint-Malo, où on a rencontré des gens formidables. » Ils foulent de temps en temps le pont des vieux gréements à quai et, bonheur suprême, vont parfois faire une virée en baie, invités par les copains. Habillés en corsaires du XVIIe ou du XVIIIe siècle, voire en pirate, « pour sourire et faire râler les Malouins !»
La vie n’est rien d’autre qu’une histoire de navigation, Denise et Marc peuvent être fiers de la leur. « On a réalisé notre rêve. Ici, on est libre. On aime les remparts, la balade de la cité d’Alet, regarder les vagues et entendre le ressac : on ne s’en lasse pas. Même si on doit se retrouver à la rue un jour, ce sera une rue de Saint-Malo. »
Texte Béatrice Ercksen – Photos © Gérard Cazade
Merci pour ce voyage au milieu
des corsaires.
🙂
Merci pour ce retour sur nos écrans. Vous nous manquiez…
C’est gentil Marie-Thérèse! Merci!
Un portrait ciselé agrémenté de bien jolies photos , comme tous les autres d’ailleurs ,heureux de vous revoir également .
Merci Stéphane!😀
Une belle histoire émouvante dans laquelle je pense beaucoup de gens se projettent et se reconnaissent .
Il y a toujours des rêves qui se réalisent .
La première fois que je suis venu à St Malo j’avais 9 ans , le 2 aout 1964 pour passer des vacances et promesse de petit garçon tombé amoureux de cette ville et de son histoire je me suis dit qu’un jour j’y aurai une maison .
Depuis , J’ai acquis un petit appartement non loin de la gare ou je passe la moitié de mon temps partagé avec la région parisienne .
L’histoire de Marc et Denise me rappel ma chance
Un Malouin de coeur
Pascal
Un grand merci Pascal pour votre commentaire. Nous sommes heureux que votre rêve se soit réalisé 🙂 A bientôt
Merci pour c’est messages , qui rende hommage à c’est deux artistes .
Béatrice Ercksen et Gérard Cazade .
Bien cordialement vos Captaines .