Il apparaît quand la mer descend. Un râteau est son pinceau, le sable est sa toile, la lumière qui passe ses tubes de couleur. Il esquisse, et soudain, avec fougue, il réalise. Tout à l’heure, la marée montante va effacer son œuvre et il disparaîtra. AdP est un artiste contemporain. Il aime l’éphémère, le secret, il ne dit pas son nom, ne montre pas son visage. Mais aujourd’hui, pour Malouin(e) suis, il se raconte.
L’enfance
« J’étais un gamin rêveur, avec une passion pour le dessin. C’est ma grand-mère qui m’a donné envie d’aller plus loin, d’oser la peinture, cet univers particulier. Pendant 7 ans, j’ai suivi les cours d’un professeur extraordinaire dans un petit atelier au coeur de Dinan, ado au milieu d’un groupe de vieilles dames. Il m’a fait comprendre la différence entre regarder, et voir. Ça a changé ma vie. »
Le choix
« À 20 ans, la question de mon avenir professionnel s’est posée. Vivre de mon art ? C’était tentant. Mais j’ai eu peur de perdre ma liberté et le plaisir de créer en monnayant mes œuvres, d’être enfermé dans un style imposé par mes clients…L’art devait rester un plaisir, mon jardin secret. Alors j’ai choisi de ne pas être artiste professionnel. J’exerce un métier aux antipodes, mais qui m’apporte énormément, puisqu’il répond à mon intérêt pour les gens. »
L’installation
« J’ai emménagé à Saint-Malo dans un studio, rapidement transformé en atelier. Mes toiles remplissaient l’espace. Un soir, j’ai regardé un reportage sur un artiste qui dessinait avec un râteau sur les plages australiennes. Ça été une révélation : j’avais la plage, une immense toile à ma disposition, et je n’y avais pas pensé. Depuis des mois, je peignais enfermé alors que j’avais des paysages hallucinants autour de moi. Dès le lendemain, j’étais sur la plage du Sillon. »
La première fois
« Pieds nus dans le sable, j’ai commencé à dessiner. La sensation de liberté, de connexion avec la nature a été immédiate. Tous mes sens étaient en éveil : je me souviens encore du chant de la mer en mouvement, des odeurs iodées. J’ai trouvé ça fantastique. J’ai esquissé des traits, des formes improbables, des cercles. Une toile, c’est un cadre dans lequel tu t’enfermes. Sur une plage, il n’existe pas. Les seules limites sont les rochers. Je joue avec, je n‘impose rien. »
Les plages
« Certaines sont mieux exposées que d’autres, comme celle du Môle. La texture du sable est parfaite, elle est déserte l’hiver et la lumière du soleil couchant vient raser le dessin. Lorsque j’ai terminé, je monte sur les remparts ; le point de vue est idéal pour découvrir ce que j’ai fait. Il y a la Varde, une petite plage secrète. J’aime aussi la plage du Sillon, pour l’espace et le sable. Mais le point de vue est moins bon ; il y a beaucoup de monde à passer et me regarder travailler. Les soirs d’été, pourtant, quand le soleil se couche derrière Cézembre, la lumière est tellement belle… Certains m’ont demandé si la couleur de la peinture ne me manquait pas ; mais non, la couleur elle est là, tout autour de moi. »
La liberté
« Je ne prépare pas mes dessins. Je l’ai fait deux ou trois fois, je n’ai pas eu le même plaisir. Je ne programme pas plus le moment où je vais dessiner. L’envie doit être là, tout d’abord ; et puis s’il se met à pleuvoir, s’il y a du vent qui sèche le sable, si le coefficient de marée n’est pas suffisant, s’il y a du goémon…tout est remis en cause. C’est ce qui donne toute sa valeur au moment présent, et me rend libre, paradoxalement. Je ne préviens personne quand je vais dessiner. Je crois que les gens prennent plus de plaisir à tomber par hasard sur mes dessins que s’ils en étaient informés. »
L’anonymat
« Il donne plus de valeur aux œuvres qu’à l’artiste. Il permet de penser que ce sont peut-être des extra-terrestres qui ont dessiné sur la plage ? Qui sait…J’ai entendu des enfants le dire. Ce qui est sûr, c’est que l’anonymat me préserve. Je n’ai pas envie de répondre à « mais pourquoi vous faites ça ? ». Comme s’il fallait toujours se justifier. Quand on me le demande, je réponds « et pourquoi pas ? »
Le partage
« J’aime partager mes émotions en diffusant mes dessins sur les réseaux sociaux. J’apprécie aussi de travailler avec d’autres. J’ai quelques copains qui viennent m’aider parfois ; quand tu ratisses pendant 3 heures, c’est du sport ! Le coup de main est bienvenu. J’adore travailler seul, dans ma bulle, mais j’ai découvert qu’à plusieurs, c’est pas mal non plus. Les organisateurs du festival Hello Birds qui a eu lieu en septembre à Saint-Malo m’ont contacté et laissé carte blanche pour créer une œuvre en impliquant tous ceux qui le souhaitaient. Plage de l’Eventail, des enfants avec leurs parents, des grands-parents, des ados m’ont laissé les guider pour dessiner une pluie d’étoiles. A plusieurs, tu fais des choses encore plus folles, plus grandes. Tout le monde -moi compris- y a pris beaucoup de plaisir. »
Une rencontre
« Un soir d’été, sur la plage du Sillon, je dessinais en musique sur un tango remixé de Gotan Project. Un couple est arrivé et s’est mis à danser le tango autour de moi. Ça a été un moment magique. »
L’éphémère
« Quel est l’intérêt de laisser une trace ? Quand le dessin disparaît avec la marée montante, c’est une émotion extraordinaire. C’est le principe de l’ardoise magique.»
Saint-Malo
« Je suis prisonnier heureux de cette ville, un comble quand on est épris de liberté. D’abord parce qu’elle est belle et que j’y suis bien. Ensuite parce qu’elle m’offre des plages de sable fin et des marées. Tout ce qu’il faut pour être heureux. Est-ce que ça existe ailleurs ? J’ai envie de le savoir. Je pars 4 mois pour découvrir les plages d’Irlande, d’Ecosse, d’Islande avec ma voiture, ma tente et mon râteau. Je partagerai mes découvertes et mes dessins sur les réseaux sociaux. En septembre, je serai de retour pour retrouver ma toile préférée.»
Texte Béatrice Ercksen – Photos © Gérard Cazade
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C’est génial, vive la liberté et bravo. Merciiiii ❤ d’une malouine
Art de plage, c’est un sujet en or! On s’est contenté de l’écouter, de le regarder. Ça fait du bien une belle rencontre, hein?
Bravo, c’est magnifique, créatif et grandiose. Enfin un grain de sable dans l’univers frelaté de l’art contemporain. Enfin des oeuvres naturelles et belles, pleines d’espoir et de lumières.
Magnifique et tes photos en N/B mon Gégé sont très très belles. J’adore tout simplement. Les dessins de cet artiste, tes photos et ce que le texte transmet de l’artiste. Un grand merci à lui.