Femme et pompier, ça peut être la belle histoire d’un défi, d’une bataille, d’une conquête. Nathalie a débarqué à Saint-Malo un jour d’été de 1992 en droite ligne de son Tarn natal. Dans ses valises, un accent à la Claude Nougaro, un caractère bien trempé et un diplôme tout frais de pompier professionnel. Elle a 21 ans, et est la première femme à intégrer la caserne malouine. Attention devant!
« J’ai grandi à Vabre, un petit village en plein centre du Tarn. Après mon bac, que je ne pensais pas avoir, je me suis rêvée prof de sport. Prof, ça ne me parlait pas, mais le sport était tout ce qui m’intéressait, et je ne voyais pas quel autre métier exercer pour vivre ma passion. J’ai râté le concours d’admission à l’UREPS; des proches m’ont conseillé de tenter le concours de pompier professionnel. Je ne savais pas de quoi il s’agissait : je n’avais jamais vu un camion rouge de ma vie! Je l’ai passé, je l’ai eu, seule femme des 27 reçus, sur 2000 candidats. Je n’avais pas perdu espoir d’intégrer l’UREPS : à ma deuxième tentative, j’ai été admise ». Très bien, mais le destin ne se laisse pas éviter comme ça. « J’ai abandonné au bout de 18 mois : trop de théorie, pas assez de pratique. Je me suis dit que pompier, après tout, c’était peut-être pas une mauvaise idée. »
À 19h, on rentre les fleurs…
Nathalie cherche un poste, dans le Sud qu’elle connaît et qu’elle aime. » Je voulais l’Aquitaine, ou Midi-Pyrénées. Mais rien : pas de postes pour les femmes. » Elle est dans une impasse. C’est tout là-haut, à Saint-Malo, qu’elle aperçoit la lumière. « René Couanau, le maire de l’époque, tenait à instaurer la mixité chez les pompiers, alors gérés par la mairie. Il y a eu de la résistance dans la direction, mais il n’a pas cédé. »
Elle décide de tenter le coup, et ça va être un vrai et double choc. D’abord de civilisation. De mode de vie. « Je n’avais jamais dépassé Brive, t’imagines le changement? Chez moi, la vie commence à 21 heures, les gens sortent, discutent, s’amusent. » A Saint-Malo, c’est moins chaud. Comme elle dit, « à 19 heures, on rentre les fleurs ». Pas grave. Du haut de ses 21 ans, dans son appartement de Bellevue, elle continue de faire la fête. Ce n’est pas du goût du voisin du dessous, un gendarme à la retraite, qui note scrupuleusement tous les excès nocturnes de la demoiselle et lui annonce qu’il va porter plainte.
Faire sa place
Deuxième choc, au boulot. « C’était, selon la direction, un milieu viril où les femmes n’avaient rien à faire : pas assez costaudes, pas assez sportives…J’ai débarqué dans un groupe composé uniquement d’hommes, mais aussi uniquement de Malouins. C’était une famille, où il a fallu prendre ma place. J’ai tapé dedans, et ça l’a fait. »
Comment une jeune fille délicate peut-elle « taper dedans »? « Je ne suis pas compliquée, je fais le boulot, et j’aime faire la fête. Il faut chanter? Je chante. Il faut danser? Je danse. Le groupe m’a vite acceptée. » Si bien que ses problèmes vont s’arranger. Lorsque son commandant, pas content du tout, la convoque pour ses tapages et son voisinage, « mes collègues m’ont défendue. L’un d’eux est allé discuter avec le gendarme pour le calmer. On a trouvé une solution : j’ai déménagé dans une longère à Plouër, où j’ai pu continuer à recevoir les copains sans gêner les voisins. »
Nathalie, elle assure
Max, aujourd’hui à la retraite, se souvient de l’arrivée de Nathalie : « Ça a tout de suite bien accroché avec elle, on la considérait comme notre gamine. Les épouses de certains ont vu ça d’un mauvais oeil. Savoir leurs hommes avec une femme pendant les gardes de 24h, ça leur faisait peur. Et puis ça s’est calmé. » D’autant que question boulot, Nathalie assure, dit Max : « elle a été mon équipière. J’avais une totale confiance en elle. Quand elle était avec moi, j’étais tranquille. Le travail, elle le faisait aussi bien, voire mieux qu’un homme. »
Pompier et grand-mère
86 sapeurs-pompiers professionnels composent aujourd’hui la brigade malouine. Parmi eux, 10 femmes. La mixité? « On n’y pense même pas, avoue Nathalie. Homme, femme, peu importe : un pompier est un pompier. » L’arrivée d’une seconde femme à Saint-Malo, 5 ans après Nathalie, n’a rien changé à son quotidien. Rien, vraiment? « Ah si! Les collègues m’ont appelé grand-mère, puisque j’étais la plus ancienne. C’est resté : c’est toujours mon surnom! » Un surnom qui la consacre membre de la famille, tout en haut ou presque.
Quand la carapace se fendille
Sa première intervention, Nathalie ne l’a pas oubliée. « C’était à La Secouette, sur la route de Saint-Coulomb, en pleine nuit. Un ado en mobylette contre une voiture. Il n’y avait plus rien à faire. Ça marque, forcément. Et puis, au fur et à mesure, on s’endurcit.Ça ne veut pas dire qu’on ne ressent rien, mais on prend du recul. On est bien obligé, sinon on arrête le métier. On ne peut pas tout prendre dans la tronche. Même avec une carapace pourtant, on prend des coups. En fait, ça dépend de ton vécu, de ton âge : si tu as des gamins et que t’interviens sur un accident où les victimes ont l’âge des tiens, tu le prends en plein coeur. On apprécie d’avoir une cellule psychologique à notre disposition. » Certains ne tiennent pas, surtout dans les pompiers volontaires : « j’en ai un actuellement qui veut arrêter, il ne supporte plus. Je l’ai déja récupéré deux fois, mais là, je crois que je ne vais rien pouvoir faire. » Il y a pourtant des moments qui font du bien, des vies qu’on sauve, des gens reconnaissants : « un Malouin est venu nous remercier, il y a quelques mois. On l’avait récupéré après un arrêt cardiaque, en le massant pendant longtemps. On ne savait pas s’il s’en était sorti, on n’a pas de nouvelles une fois que les gens sont pris en charge à l’hôpital. Quand on l’a vu arriver à la caserne, ça nous a fait plaisir. »
On décale!
Au fait, c’est quoi le quotidien d’un pompier malouin? « Ce sont des gardes de 24h à la caserne, suivies de 72h de repos. Sport le matin et l’après-midi, à Marville, à la cité d’Alet, à la piscine l’hiver, sur la plage aux beaux jours. Au milieu, boulot dans les services et manoeuvres. » Des journées ponctuées par les interventions. « Qui ne sont jamais les mêmes, et c’est aussi pour cette diversité que j’aime ce métier. On ne sait pas sur quoi on va partir, on décale*, et quand on arrive sur les lieux de l’incident, on ne sait pas ce qu’on va trouver. »
Ah, l’intra-muros…
Il y a aussi les spécificités malouines, qui rendent le métier ici unique : en plus du secourisme, de l’incendie, du secours routier, tronc commun à tous les sapeurs-pompiers de France, les Malouins peuvent intervenir sur les feux de navire, les risques chimiques, les risques nautiques. Et puis il y a l’intra-muros, « avec ses bâtiments confinés, ses escaliers en bois, ses rues étroites. On fait des manoeuvres régulièrement pour être prêts en cas d’intervention. Des collègues -les écheliers- sont formés spécifiquement pour monter à l’échelle destinée à l’intra-muros. C’est une échelle de 18 mètres, articulée, commandée spécialement pour la vieille ville. C’est la première en France. Intra-muros, l’accès à l’eau pose aussi problème du fait du dénivelé du quartier. Il faut se brancher tantôt en haut, tantôt en bas, ou puiser l’eau de mer…quand la mer est haute. »
Le métier change
Nathalie, 26 ans de carrière, est aujourd’hui adjudant-chef et a pris des responsabilités. « Ça me permet d’être un peu plus en retrait sur le terrain. Parce que même si l’équipement est plus léger qu’à mes débuts, si on fait plus attention aux mauvaises postures grâce aux cours d’ergonomie, le métier est physique, et je n’ai plus 21 ans. » Le métier justement, il a changé en 26 ans? « Oui. Avant, notre quotidien c’était surtout les feux et les accidents de la circulation. Grâce aux matériaux utilisés dans les maisons et aux détecteurs de fumée, on a moins d’incendies. Sur la route, la conception et les matériaux des voitures ont réduit l’impact des chocs lors des collisions. En 2018, les pompiers sont surtout confrontés aux suicides, aux gens qui dépriment…A la misère sociale. »
Noël à la caserne
Dans quelques jours, Nathalie fêtera Noël à la caserne. « C’est comme ça, ça fait partie du boulot. Nos familles y sont habituées. » L’adjudant-chef connait le programme : « on se fait un repas entre pompiers de garde, c’est bon enfant. On s’offre des cadeaux rigolos, en rapport avec ce qui a pu arriver les mois précédents. » Max se souvient d’un Noël en particulier : « lors d’une intervention, en reculant avec le camion, Nathalie avait percuté un panneau de sens interdit. On l’a ramassé en douce, et on le lui a offert à Noël, bien emballé. »
Max et Nathalie en rigolent encore.
texte Béatrice ERCKSEN / photos © Gérard CAZADE (sauf mention contraire)
*l’origine du terme décaler remonte à l’époque où les pompiers intervenaient avec des véhicules hippomobiles. Les camions en attente étaient immobilisés avec des cales que les pompiers enlevaient lorsqu’ils étaient appelés : ils « décalaient ». Le terme est resté : aujourd’hui encore, lorsque les pompiers partent en intervention, ils disent qu’ils « décalent ».
Le centre de secours et d’incendie de Saint-Malo est composé de 86 sapeurs-pompiers professionnels et de 45 volontaires. Il est départemental.
En 2017, les sapeurs-pompiers malouins ont assuré 5241 interventions.
Plus d’infos sur le centre de secours et d’incendie de Saint-Malo
Femme pompier? Oui bien sûr!
Considération respectueuse et félicitations pour votre courage et l’ensemble de vos collègues dont l’humanisme n’est plus à prouver. Espérons que votre métier obtienne toute la reconnaissance méritée, tant de la part du pouvoir politique que de la part des abrutis qui se permettent de vous attaquer.
Beau parcours que celui de Nathalie, Malouine venue du « Sud » exercer le noble et dangereux métier de sapeur pompier avec pour mission de sauver des vies humaines ou parfois animales au risque d’y perdre la sienne ! Merci Madame à vous et vos collègues Nous vous souhaitons à tous de bonnes fêtes de fin d’année .
Merci Beatrice et Gérard Bonne fêtes à vous .
Le film » Sauver ou périr » relate bien les péripéties de ce métier et la force physique et morale dont doivent faire preuve les sapeurs pompiers et les drames qui en résultent . Très émouvant .
Merci Yves pour ce beau commentaire, comme d’habitude! Gérard et moi même vous souhaitons également de bonnes fêtes, et espérons vous revoir bientôt
Bravo Nathalie pour votre courage et votre force de caractère.
Comme toujours un très beau portrait. Et j’ai personnellement un attachement particulier avec les pompiers (de Paris en particulier mais la fonction, et le professionnalisme reste le même ) car ils sont intervenus lors de l’incendie de l’appartement de mes parents à Paris ( celui que tu as connu Gérard ) suite au quel mon papa, hélas, est décédé.
Je pense aussi aux deux pompiers morts lors de l’incendie de la rue Trévisse.
Oui un métier, mais pas assez reconnu.
Grand merci à cette dame qui mérite toute notre gratitude pour ses interventions.
Tous mes voeux à cette dame et à l’équipe de « Malouin(e)Suis »
Alain,recevez en retour nos voeux de bonne et heureuse année. Merci pour ce commentaire, triste et beau