Stéphane est le premier agriculteur bio de Saint-Malo. Cela fait aujourd’hui 25 ans qu’il ramène de ses abordages, pardon de ses maraîchages, des trésors de saveurs et de santé. La preuve que la cité corsaire compte aussi de grands aventuriers de la terre.
Il y a des chemins qui viennent de loin et qui semblent tout tracés. Stéphane, par exemple, a toujours voulu être agriculteur. Comme ses grands-parents maraîchers. « Ils cultivaient leurs terres à la Découverte. Gamin, j’y ai planté des choux. Ils en ont été expropriés en 1973, pour laisser place aux immeubles. Ils avaient l’âge de la retraite, ils en ont profité pour arrêter. Mes parents, maraîchers comme eux, ont racheté des terres en limite de Saint-Malo. »
Avez-vous trouvé la voie?
Et Stéphane a suivi sa voie, qui passe par le lycée agricole. Il effectue son stage de fin d’études chez un producteur à Plouha, qui lui propose de s’associer. » C’était tentant, c’était une belle exploitation. Mais quand t’es né à Saint-Malo, tu vas pas habiter Plouha… » Il s’installe donc dans la cité corsaire, mais côté terre, et ses terrains de conquête, à quelques mètres de la maison, se trouvent sur Saint-Méloir. Il produit là une vingtaine de légumes, sous serre ou en pleine terre : blettes, épinards, navets, salades, tomates, aubergines, concombres…En bio. Moins par conviction que par évidence. « Le gars qui m’a accueilli en stage était un des plus gros producteurs bio de Bretagne, il marchait bien. Il avait créé une coopérative, qui m’a acheté ma production pendant 10 ans. A l’époque de mes études, dans les années 90, il y a eu une crise des primeurs. Installés en conventionnel, mes parents ont souffert. En bio, la crise n’existait pas. Je n’ai pas hésité. » Nous sommes en 1993. Stéphane est le premier maraîcher bio du pays malouin.
Taiseux
25 ans plus tard, est-il convaincu? « Forcément ». Mais Stéphane, taiseux, n’en dira pas beaucoup plus. On devine qu’il n’a pas l’intention de commenter les méthodes de ses collègues installés en conventionnel. En insistant un peu, pourtant…« En conventionnel, on est dans le curatif. Il y a une réponse –un bidon- pour chaque maladie. En bio, quand une plante est malade, c’est presque trop tard. Alors il faut empêcher qu’elle le devienne. On doit réfléchir pour que les problèmes n’arrivent pas. » Comment? « En préparant la terre. Si le sol se porte bien, les légumes se porteront bien. Je pratique la rotation des cultures. Pendant 2 ans, la moitié de mes 17 hectares sont au repos, en engrais verts qui protègent la terre de l’érosion, fixent l’azote et empêchent les mauvaises herbes de se développer. J’y plante ensuite des légumes gourmands en azote, comme les choux. En bio, il faut être un bon technicien. » Evoquer le rendement peut-être moindre fait sourire Stéphane. « J’ai le même rendement qu’en conventionnel. A part pour les tomates hors-sol : j’en connais qui sortent 60 kg au m2, j’en suis loin. »
Jean qui rit et Jean qui pleure
En ce début avril pluvieux, la terre colle aux bottes. C’est de la bonne, la terre de Saint-Méloir? « La terre, elle est bien partout. Ça dépend comment tu la mènes…C’est vrai qu’il y en a de plus faciles que d’autres. Celle-ci se réessuie assez bien. » Heu…réessuie, c’est-à-dire? « Ça veut dire que 4 jours de soleil suffisent à la sécher après un épisode pluvieux, et qu’on peut planter. Plus loin, à Dol ou Epiniac, dans les marais, on peut attendre jusqu’à un mois avant de pouvoir le faire. Et à Saint-Coulomb, où elle est sableuse, tu peux planter dès le lendemain. T’es content. Seulement s’il ne pleut pas pendant un moment, ta terre devient toute sèche. Là tu pleures. »
Loup de terre cherche mousses
Stéphane ne regrette pas ses choix. Il y a quand même quelque chose qui lui pèse : le manque de personnel. « Je travaille 350 jours par an. J’aimerais bien trouver un associé qui pourrait me soulager. Je ne prends que 15 jours de vacances, en hiver quand les légumes ne poussent pas trop, mais j’ai toujours la tête dans le boulot : les gars que j’emploie peuvent s’occuper des cultures, mais ils ne gèrent pas les expéditions. » Dans le maraîchage, le manque de CDI pèse lourd. « Mes salariés peuvent se faire 2000€ net par mois. Mais c’est vrai qu’on fait un métier difficile, on passe une partie de la journée à genoux. Alors on a du mal à garder notre personnel. » Exemple l’an dernier. « Mes intérimaires ont bien bossé six mois, puis ont préféré partir à Tahiti en touchant 6 mois de chômage. Je comprends la jeunesse, le goût des voyages, mais c’est parfois dommage… »
Alors tous les matins Marie-Christine, sa femme, vient travailler avec lui. « En attendant l »heure de laisser la place, et de s’occuper pleinement des gîtes qu’on a créés. D’ici dix ans peut-être. J’aurais 55 ans, je ne pourrai plus continuer à travailler comme je le fais. » Surcouf a bien mis un terme à ses aventures avant ses 35 ans. Alors un vieux loup de terre…
textes Béatrice ERCKSEN / photos © Gérard CAZADE
Stéphane vend sa production en gros à Rungis, en demi-gros dans certains magasins bio de Saint-Malo et aux revendeurs des marchés
Sthéphane, un pionnier du bio.