Saint-Malo, pour Steph, c’est une histoire d’adolescence. « Je passais mes journées d’été sur la plage du Môle et sur l’eau. On était toute une bande, avec mon frère, mes soeurs, les copains d’ici, et les cousins du continent. On s’était inscrits à l’école de voile de Cézembre. En juin, ses responsables faisaient passer le barrage de la Rance aux dériveurs du club. Les vauriens et caravelles étaient acheminés de la Richardais à Cézembre, où ils passaient l’été, à notre disposition. On allait sur l’île avec les vedettes vertes, et là-bas, place à la voile. On naviguait la journée; on restait parfois dormir sur place. On faisait des méchouis. Autour du feu de camp, on chantait Santiano et des chants de marins. Le samedi soir, pour fêter la fin du stage hebdomadaire, on allait diner dans un resto de Saint-Malo ou Dinard. On finissait au casino, dans les bars de nuit. C’était formidable. À la fin de l’été, il fallait repartir en Angleterre. On en avait gros sur le coeur. »
La plénitude
Le père de Steph était anglais, et la famille vivait à Evesham, dans le Worcestershire. Sa mère était malouine, et les vacances se passaient dans l’appartement de la grand-mère, intra-muros. Dans la campagne anglaise, il y avait parfois des saisons vides. L’été de Saint-Malo, c’était toujours la plénitude. Elle était tombée amoureuse. « Mon amour pour Saint-Malo a vite été plus fort que mon amour pour l’Angleterre. J’aime cette ville, j’aime ses gens.«
La vie vous tend parfois la main. Un jour, la famille doit s’y résoudre : Mamy ne peut plus vivre seule dans son appartement. Il faut lui trouver une maison de retraite, ou bien quelqu’un qui vienne vivre à ses côtés. Steph débarque. Elle a 27 ans, un appétit de corsaire, un esprit de conquête, et des amis fidèles dans la place. Elle s’entend bien avec Mamy et chérit l’appartement de ses étés. Elle se lance à l’aventure. Elle est titulaire d’une licence de français et d’histoire, obtenue à Londres, mais repasse une licence d’anglais et un CAPES pour avoir la possibilité d’enseigner en France. « J’ai eu des élèves très chouettes. Enseigner l’anglais, apprendre à communiquer, cela a toujours été pour moi un plaisir. L’anglais est une langue que j’adore. »
La bande à Steph
Steph aime chanter. La pop, le folk, la country ont sa préférence, mais la chorale de la cathédrale, c’est pas mal non plus. Elle chante soprano…ou ténor. Elle en rit encore : « quand le pupitre manquait de voix, je rejoignais ces messieurs. « Elle entraine dans l’aventure musicale des gamins du coin : sa « bande » se produira pendant quelques années dans les maisons de retraite, à Noël et à Pâques. « On ne chantait pas toujours juste, on n’était pas toujours bien calés, mais le plaisir qu’on donnait et qu’on recevait effaçait toutes les fausses notes. »
Coeur malouin
Jour après jour, au fil des ans, elle est devenue malouine. De toutes ses fibres, ou presque. Elle a aujourd’hui 64 ans, un mari français, un logement à Rochebonne, des amitiés qu’elle cultive, avec ses anciens amis ou ses anciens élèves. Elle a pris le temps de se promener, de tout regarder, en toutes saisons.« J’aime le temps qu’il fait, l’air du large, la mer, les couchers de soleil. » Elle a choisi ses endroits préférés :« la plage du Môle quand il n’y a personne, les rues commerçantes, la roseraie de Saint-Servan, un bar d’intra qui fait un bon feu l’hiver et qui passe du Leonard Cohen »... Comme tout bon Malouin, elle « fait la digue ». « Quand j’y suis, elle devient la promenade des Anglais! », dit-elle dans un éclat de rire.
Elle a quand même gardé des attaches outre-Manche, l’habitude de s’habiller pour sortir, le goût des chaines de la BBC, et un délicieux accent british. Elle en sourit. « En Angleterre, on me considère comme une Française. En France, on me prend pour une Anglaise. En fait, j’appartiens à Saint-Malo ».
texte : Béatrice ERCKSEN – photos : Gérard CAZADE
Une très belle histoire ! 🙂
Merci Anne!