En ce soir d’avril, la Carlingue fête sa première année d’existence. Les habitués commencent à investir le bar du quai Duguay-Trouin, réputé pour ses soirées où la bonne musique et la bière coulent à flot. Sur le trottoir, le patron fait chauffer sa cornemuse .« J’espère qu’il finira la soirée en montant sur les tables », confie Matyl avec gourmandise. J’adore quand il fait ça. Pendant la Route du Rhum, il a joué en kilt sur la table qu’occupait Edouard Philippe, l’ancien premier ministre, qui n’a pas eu l’air de s’en formaliser…»
Les musiciens ont installé les micros, posé leurs instruments en attendant le début de la fête. Assise sur un canapé, Matyl se tient prête. Elle a sorti ses feuilles Canson, ses couleurs, ses pinceaux, mis son célèbre béret pour retenir ses cheveux, remonté ses grandes lunettes, enfoncé ses boules quiès (« sinon je serais sourde depuis longtemps »), enfilé un masque (« j’ai les poumons fragiles, j’en mets quand il y a beaucoup de monde »).
Elle a repéré les gens qu’elle va croquer, « la chanteuse avec son chapeau, le gars avec les épaules tombantes, celui attablé devant une bière, avec son bras tatoué… » Matyl va passer une partie de la soirée à les dessiner, à restituer l’ambiance survoltée du bar. Sur sa feuille il y aura du mouvement, des verres qui s’entrechoquent, des éclats de rire, des gueules, des gens qui swinguent, dans des tons solaires et un style bande dessinée. L’artiste est épanouie, dans son élément. « Ça m’excite ! dit-elle dans un rire. J’aime la fête, la musique, les gens heureux d’être ensemble, l’énergie qui s’en dégage : on est vivant ! Je veux dessiner tout ça tant que ça existe encore…»
Matyl a découvert la peinture sur le tard, à 47 ans. Un accident de la vie l’a fait trébucher après 25 ans de traversées entre Saint-Malo et l’Angleterre comme hôtesse navigante sur les ferries. « Les évènements pas faciles, tout le monde en connaît dans sa vie, et j’en ai eu ma part. J’en tire du positif : ils m’ont fait prendre des chemins je n’aurais pas empruntés. Est-ce que je me serais mise à peindre sans cela ? Lorsque j’étais au fond du trou, dessiner était la seule chose qui me faisait du bien. Mes copains m’emmenaient aux fest-noz, avec mon fauteuil roulant. Je ne pouvais pas danser, alors je crayonnais. Ça m’a sauvé la vie. »
Matyl s’est relevée. Elle a repris ses voyages à travers le monde, avec son sac à dos et ses crayons pour compagnons. « On me disait que j’étais inconsciente, qu’il allait m’arriver des tas d’horreurs, se souvient-elle. Je n’ai pourtant jamais eu peur, sauf une fois : de retour à Saint-Malo, j’ai été prise en stop entre Miniac et Châteauneuf par deux jeunes bourrés. Ils m’ont fichu la trouille de ma vie… »
Dans son atelier de Solidor, Matyl peint à l’huile, du figuratif comme de l’abstrait. L’aquarelle est réservée aux moments sur le vif, dans les lieux de vie qu’elle affectionne. « Je croque tous les week-ends, parfois dans deux ou trois bars par soirée. » Ses endroits préférés ? « Tous ceux où l’ambiance est bonne : la Carlingue, le Bercail à Rochebonne, le V and B près de la clinique de la Côte d’Ėmeraude, le Cunningham à Saint-Servan, la Trinquette au port Vauban, les Terroiristes Associés, le Saint Patrick... Le Dock, quai Duguay-Trouin, c’est délire aussi. Et puis j’aime bien le Chill, sur le campus : le jeudi soir il est plein d’étudiants, des jeunes surprenants, intéressés par ce que je fais. Je les dessine et j’écris leurs petits noms au bas du dessin. En fait, je peux dessiner tout le monde et partout : le pianiste du bar des Thermes, le boucher du marché, les enfants sur la plage, un match de tennis et même les visiteurs et les soignants de l’hôpital, lorsque je vais voir quelqu’un… »
Matyl est le nom d’artiste que Martine s’est choisi, contraction de son prénom et de son nom. Solidor, « parce que c’est là que je vis. » Une vie sur les chapeaux de roues (« levée à 7h, couchée vers 1h, un peu plus tard que Cendrillon ») qui nécessite de faire d’indispensables pauses : « lorsque j’en ai marre, qu’il y a trop de monde à Saint-Malo, je prends mon baluchon et je pars au calme, dans une petite maison que m’a léguée mon père, au bord de l’étang de Bazouges-sous-Hédé. À mon âge, je devrais faire du tricot en regardant la télé, mais je ne sais pas tricoter », dit-elle dans un éclat de rire. Reposée, ressourcée, Matyl reviendra très vite à Saint-Malo, la ville qu’elle aime. Prête à repartir croquer dans le tourbillon de la vie.
Texte : Béatrice ERCKSEN – Photos : © Gérard Cazade
Matyl de Solidor expose à la galerie Sadecc, 37 quai Duguay-Trouin, Saint-Malo
Suivez Matyl sur Instagram : matyl_de_solidor
Quelle belle personne ! Vous avez bien fait de lui consacrer un portrait !
N’est-ce pas? On l’aime beaucoup !😀
Bravo à tous les deux pour ce beau portrait qui lui correspond si bien.
Amitiés
Alain