On n’entre pas dans le port de Saint-Malo comme dans un moulin. Il faut slalomer entre les îles et les phares, les récifs et les cailloux, compter avec les marées et les courants. Puis passer les écluses et s’amarrer, enfin. Faut connaître, et tout le monde ne connaît pas. Alors, on fait comment? Pour des tas de gens, il y a la prudence, les cartes, le GPS, le savoir-faire, l’agilité des petits bateaux. Mais pour les gros, les cargos, navires militaires, bateaux de croisière, cela ne suffit pas, le risque est trop élevé. Pour eux, il y a les pilotes.
Éric,Vincent et Julien sont les trois pilotes de Saint-Malo. Commissionnés par l’État pour assurer ce service public, obligatoire à Saint-Malo pour les navires de plus de 45 mètres. Leur boulot est de mener les visiteurs à bon port, et de les rendre intacts à la mer. Pour ça ils doivent grimper à bord, retrouver le commandant à la passerelle pour l’assister dans ses manoeuvres. Ils prennent parfois la barre.
Une cohabitation difficile
C’est si compliqué d’entrer ou de sortir d’un port? « Ça dépend des ports, dit Julien. Chez nous, avec les marées et les courants, la présentation au sas et le passage des écluses ne sont pas évidents. Et puis les ports de pêche, de commerce et de plaisance ne sont pas séparés. Il faut apprendre à cohabiter dans la baie, mais aussi dans le sas. Un commandant connaît son bateau, le pilote connaît sa zone de navigation et son port. Leur association permet de réduire les risques pour le navire, l’équipage, les autres usagers de la mer, l’environnement et les infrastructures portuaires. Deux paires d’yeux valent mieux qu’une. »
» La baie est plutôt mal pavée »
Les navires sont pris en charge derrière Cézembre. Depuis le port, il faut compter 15 à 20 minutes de trajet en pilotine pour aller les chercher. La vedette se colle au flanc du géant, l’échelle de pilote est lancée, Julien grimpe. Quand la mer est formée, qu’il fait nuit, l’exercice peut se transformer en épreuve, pour le patron de la pilotine comme pour Julien. Pourquoi prendre en charge les navires aussi loin? « La baie est plutôt mal pavée…Les épaves qui tapissent les fonds nous le rappellent. Il faut compter avec les cailloux, mais aussi avec le marnage : quand on a 13,5 m de différentiel, le niveau d’eau baisse de 60 cm en 10 minutes. Si un bateau a un grand tirant d’eau, le passage du sas peut se jouer à la montre. Et puis qui dit marnage dit courants. Ils sont très forts au niveau du Grand jardin, et on sent les effets de l’usine marémotrice depuis les Grelots. Les commandants, notamment méditerranéens, sont souvent surpris. »
Façon bernique
Pour devenir pilote, il faut être titulaire d’un brevet de capitaine tous navires -le plus haut brevet de commandement de la marine-, justifier de 50 000 heures de navigation comme officier, et réussir un concours, avec peu de places à la clé. Les pilotes sont attachés à un port, comme une bernique à son rocher. Quand on a navigué pendant des années, ce monde n’est-il pas un peu réduit? « Parfois, oui, d’autant que je faisais du transport à la demande : quand j’embarquais, je ne savais pas où j’allais. J’adorais ça. Le travail en équipage me manque aussi. Mais quand on aime la manoeuvre, être pilote c’est être au coeur du métier. Et c’est complet : il faut savoir s’adapter aux conditions météo, aux contraintes portuaires, aux bateaux. Et aux hommes. »
Gérer les savonnettes
Car contrairement à ce qu’on croit, ce ne sont pas les navires qui posent le plus problème. « On fait 300 à 350 manoeuvres par an, on arrive à maîtriser tous les bateaux. Évidemment, certains sont plus capricieux que d’autres, on doit parfois gérer des savonnettes. En regardant les caractéristiques d’un navire, la tête qu’il a sur les photos, le chantier qui l’a construit, on sait s’il risque d’être un peu difficile à manier. On a des habitués qui n’en font qu’à leur tête en manoeuvre, comme le Joseph Roty : on lui demande d’aller à gauche, il va parfois à droite. Alors on prend le temps, on assure avec deux remorqueurs, et on y arrive toujours. »
Ah, l’égo…
Il n’y a qu’une seule chose ingérable : « un commandant borné, stressé, avec un égo démesuré. » Julien en a rencontré quelques-uns. C’était comment? Pendant la Tall Ship, en 2012, le commandant d’un bateau-école étranger m’a donné du fil à retordre. Je venais assurer l’entrée du 4 mâts goëlette mais le commandant a voulu manoeuvrer sans utiliser la machine. Ça a pris des plombes! En plus, comme il parlait très peu anglais, on devait passer par un interprète, ça compliquait les choses. Le public était massé le long de l’écluse, le speaker commentait en direct, tout le monde se marrait. Comble de malchance, j’étais encore de permanence quand il a fallu sortir le voilier. J’ai fait la tronche, mais c’était rien à côté de celle du commandant, quand il m’a vu monter à bord. »
Les rencontres se terminent heureusement le plus souvent par une poignée de main cordiale.
Plein les yeux
Et les grands voiliers restent des bateaux mythiques : « lors de la dernière Tall Ship, avec mes deux collègues, on a sorti 35 voiliers en deux marées, on s’est éclaté. Ce sont de super bateaux, très agréables à manoeuvrer, au comportement sain, facile à sentir. Ils nous surprennent rarement. Un de mes meilleurs souvenirs. » OK. Être pilote est donc passionnant. Et être pilote à Saint-Malo, c’est comment? « C’est un plaisir quotidien. Il y a quelque temps, j’ai fait une sortie avec deux collègues de Lorient et de Nantes. Ils m’ont dit qu’ils en avaient pris plein les yeux pendant deux heures. C’est une chance de travailler dans cette baie. »
Texte Béatrice ERCKSEN / photos © Gérard CAZADE
Le remorqueur est un bateau de travail qui aide les navires à entrer ou sortir du port
La pilotine est une vedette rapide qui amène les pilotes jusqu’au navire à prendre en charge.
Si le pilotage est un service public, la station de pilotage est gérée au quotidien comme une entreprise privée. A St Malo, elle est co-gérée par les 3 pilotes. Les patrons des pilotines -la Chevalière et l’Emeraude-sont salariés de l’entreprise. La zone d’intervention des pilotes malouins s’étend du Vivier-sur-Mer au Cap d’Erquy.
Le phare du Grand Jardin, automatisé depuis 1982, fait partie du balisage maritime de la baie de Saint-Malo, comme la bouée des Grelots.
Depuis tout petit, on voit de la plage rentrer et sortir les bateaux pilotes, ils font partie du paysage. Le texte, la discussion, les photos montrent un point commun à tout cela: l’amour du métier. La journaliste, le photographe, le commandant aiment ce qu’ils font, c’est tellement évident. Bravo et à bientôt.
Antoine.
Vous avez tout compris Antoine : on aime ce qu’on fait. Et quand on rencontre des passionnés -et passionnants- comme Julien, et comme tous nos Malouins suis, on est aux anges. Merci de nous lire!
Merci beaucoup Antoine
Un maillon indispensable de la chaîne maritime, merci de nous le faire mieux connaitre.
Merci Gérard. Bises
Bonjour , tout est bien expliqué , la passion de Julien pour son métier et ses risques ,ses responsabilités. Il en faut des compétences pour convoyer ces gros navires jusqu’au port en évitant toutes ces embûches ! Et puis il y à entre ces lignes le parfum iodé de l’océan , une vision du métier de marin et aussi de l’aventure maritime avec ces grands et majestueux voiliers ! Merci à vous pour ce beau récit !
Merci Yves pour ce beau commentaire. On sent chez Julien et vous le même amour du métier et de la mer. Vous êtes vraiment « l’ami du marin » !
Je viens de voir cette page sur votre très joli blog, super !
Métier étonnant pour le novice que je suis et on sent la passion d’un port, de la mer et surtout des bateaux.
Et quelle responsabilité pour cet homme encore jeune et qui a déjà pas mal bourlingué sur beaucoup de mer.
Je ne peux avoir que du respect pour cet homme et ses collègues, moi qui a fait carrière dans un bureau.
Merci à eux pour les bateau et nos ports.