Ce sont des personnes que l’on croise parfois intra-muros, à la tête d’une troupe curieuse, le long des remparts, dans une cour, au bord d’un escalier. Elles s’arrêtent ici ou là, parlent en plaçant leur voix comme au théâtre, montrent des choses à gauche à droite, et disparaissent à l’angle d’une ruelle. C’est comme un jeu, c’est presque rien, et pourtant. Ces personnes-là sont des guides conférenciers et conférencières. Grâce à elles, les murs de la vieille ville n’ont pas seulement une histoire, ils ont aussi une voix.
Solenn est une de ces voix-là.
Mais à qui elles parlent, d’abord, ces voix? Qui les écoute? « Des Français en majorité, des Espagnols de plus en plus, très peu d’Anglais, et beaucoup d’Américains. » Depuis le prix Pulitzer, attribué en 2015 à Anthony Doerr pour son roman qui se passe en partie à Saint-Malo, pendant la 2nde Guerre mondiale, ils débarquent en nombre dans la cité corsaire. « Ils veulent voir tous les lieux du livre, même si certains n’existent plus…ou n’ont jamais existé : la rue Vauborel où vivait l’héroïne Marie-Laure, l’hôtel des Abeilles qui abritait le QG des Allemands -pour moi l’actuel Hôtel France et Chateaubriand-. Je leur montre la plage du Môle, le chenil des chiens du guet. Avec eux, tout est toujours ‘wonderful’! «
Un peu gênés
Qui d’autre? Il y a des Québécois souvent, et…des Malouins toujours. » Il y en a toujours au moins un. Ils sont un peu gênés, comme s’ils n’avaient pas leur place au sein d’un groupe de visiteurs . Ils disent qu ‘ils ne connaissent pas Saint-Malo aussi bien qu’ils le voudraient, ou qu’ils veulent faire une petite révision. J’aime bien qu’il y ait des Malouins dans mes groupes : ils m’apprennent des choses. »
Qu’est-ce qu’elle raconte, Solenn? Des histoires de cape et d’épée, de sabre et d’abordage, de boulets et d’obus? Parfaitement. « Des histoires d‘opulence, de demeures fastueuses, de combats navals, d‘explorateurs intrépides. Des histoires d’incendies monstrueux, qui dévorèrent la plupart des maisons en bois de la ville ». Elle raconte aussi l’épopée des grands voiliers sur les bancs de Terre-Neuve et les traversées parfois sans retour, la guerre et la destruction, les demeures épargnées par les bombes, la ténacité des reconstructeurs, la vie intra-muros aujourd’hui, « une vraie vie de quartier, avec des écoles, des commerces de bouche. «
L’âme de Saint-Malo
Est-ce que c’est heureux, une voix des murs? « Pour moi, qui suis Doloise, venir à Saint-Malo, c’était l’accomplissement d’un rêve. Surtout que j’ai habité un appartement haut perché, quai du Val : en me brossant les dents, je voyais les ferries doubler Cézembre, accoster au Naye, débarquer des Anglais ensommeillés. » Depuis, elle a déménagé, mais le coeur est resté près du port. « Lorsque je passe les écluses, c’est machinal, presque instinctif : je jette un oeil aux bateaux. Tous les bateaux : de plaisance, de commerce, de voyageurs. Je regarde si l’Étoile du Roy est toujours à quai, si la Grande Hermine n’a pas quitté Saint-Malo pendant que j’avais le dos tourné, si les voiliers sont toujours nombreux dans le bassin Vauban. Elle est là, l’âme de Saint-Malo, celle qu’on retrouve pendant la route du Rhum, quand la ville est dans sa bulle et qu’elle renoue avec son caractère maritime . »
Saint-Malo secrète
Et de quoi elle ne parle pas, Solenn? Est-ce qu’elle cache des choses? « J’ai mes moments à moi, le matin à l’heure des livraisons, des terrasses qu’on sort, des rues qui s’éveillent, juste avant de retrouver les groupes. La mer depuis les remparts, quand le soleil joue sur l’écume, que la brume monte, que les nuages gris d’octobre promettent un grain dans 5 minutes. » Elle a aussi ses coins préférés, pour des promenades rien qu’à elle : « j’aime Solidor et sa vie de quartier, la cité d’Alet. Et Quelmer-la Passagère. C’est un endroit totalement différent des autres quartiers, une ambiance de bords de Rance, hors du temps et de la ville. Pour y aller, c’est pas facile, la plage est petite, on ne peut pas s’y baigner : c’est peut-être pour ça que j’ai le sentiment qu’il est réservé aux initiés, à quelques chanceux dont je fais partie. Quand j’y suis, je vois parfois passer mon mari, qui travaille sur la Rance. Les soirées là-bas sont merveilleuses. Et les couchers de soleil les plus beaux que j’aie vus. »
« Toute la lumière que nous ne pouvons voir », Anthony Doerr (Albin Michel)
– prix Pulitzer 2015-
texte Béatrice ERCKSEN – photos ©Gérard CAZADE
Saint-Malo et son histoire, merci Solenn de partager.
Merci Solenn de partager vos connaissances sur ST MALO
La voix et la mémoire.