11 janvier 2017

L’odyssée généreuse de Nicolae

By In Portrait

« Pourquoi Saint-Malo? Ici, les gens gentils. » Nicolae sait de quoi il parle. En 2012, il a quitté sa Roumanie natale, où l’offre de travail n’existait plus, pour une odyssée incertaine, avec un sac à l’épaule, un bac en poche, des savoir-faire de maçon, de forgeron, de commis de cuisine, et une pratique de boxeur, ça peut servir aussi. Il a erré ici et là, à Marseille, à Rennes. Pour trouver un bout de trottoir, faire la manche, proposer des petits boulots, rendre service, échanger de la gentillesse et de la générosité.

C’est à Saint-Malo qu’il a trouvé.

Ça n’a pas toujours été facile.« Quand je l’ai connu, Nicolae squattait avec un autre Roumain une maison abandonnée sur le terrain d’EDF, raconte Patrick. Ils dormaient sous une tente, pour se protéger du froid. J’allais les voir, je leur amenais de l’eau…Et puis quelqu’un a déchiqueté leur tente. Ils m’ont fait pitié. Je connais la galère, j’en ai eu ma part. Alors je leur ai proposé de dormir dans une pièce aménagée au-dessus de mon garage. L’autre Roumain est parti. Comme ça se passait bien avec Nicolae, je l‘ai invité à vivre dans la maison. »

Patrick

Patrick a été terre-neuvas, pilote d’hélicoptère, secouriste à la montagne. C’est aujourd’hui un retraité malouin à la longue barbe blanche, comme un père Noël. Nicolae aide à la cuisine, passe ses soirées à discuter avec celui qu’il appelle Papa, devant la cheminée, dans un français approximatif qu’on comprend sans problème. Et il montre, avec des yeux qui pétillent, son nom ajouté sur la boîte à lettres.

Nicolae et Patrick

Le quartier de Nicolae, c’est Rocabey. Pour faire la manche, il a ses coins : à l’angle du tabac-presse pour se protéger du vent, près de la Poste pour s’abriter de la pluie, devant le marché le jeudi et le samedi, devant la boulangerie le dimanche. Ils sont nombreux à lui tendre une pièce, à lui donner à manger, à s’arrêter discuter. Les habitants du quartier l’ont adopté. « Bureau tabac donner café quand froid, apprécie-t-il. Poste aussi, gentils avec moi. » Sa journée commence tôt, s’achève tard. En 2015, il a décroché un contrat de 4 mois chez un charcutier. Dès qu’il le peut, il donne un coup de main dans une ferme des environs, où on apprécie la qualité de son travail. Il en est très fier. Il se souvient du premier jour où il a tendu la main. « Pas facile demander argent », soupire-t-il tête baissée.

Nicolae est Malouin. Malouin de coeur. Malouin du large aussi. Il est venu avec une marée, il repartira avec une autre, vers sa Roumanie. Là-bas l’attendent sa femme Mihaela, sa fille Maria, son fils Dani. Les enfants ont aujourd’hui 17 et 19 ans. Lui mendie pour faire vivre sa famille. L’an dernier, en début d’année, il a annoncé qu’il rentrait au pays : « avec argent, moi acheter 60 chèvres pour faire fromage, et cochons vietnamiens pour viande. » Il était heureux comme un gamin. Il est parti au début du printemps. « Fromage bien vendu en juin, juillet, août, un peu septembre. Après, plus vendu. Sans voiture, plus possible vendre. » Alors, en octobre, il est revenu.

NICOLAÎ

Sans être abattu. Pièce par pièce, Nicolae construit son avenir. Chaque euro récolté sert à rembourser Patrick : c’est lui qui a avancé l’argent pour acheter le cheptel, acquérir de la terre pour cultiver le blé et le maïs destinés aux bêtes. Grâce à lui, Nicolae a même passé son permis de conduire en Roumanie, au mois de septembre. « On dirait qu’il a eu son permis dans une boîte Bonux! se lamente le Malouin. Je l’ai fait conduire, il n’arrêtait pas de caler! » Nicolae se marre. Ni une ni deux, l’ancien pilote s’est transformé en moniteur d’auto-école : le soir, le dimanche après-midi, le jeune conducteur prend le volant du vieux break, Patrick à ses côtés. Sur la lunette arrière, ils ont scotché une feuille A4 agrémentée d’un A inscrit au feutre noir. Ils sillonnent la ville. Prochaine étape : les démarrages en côte. « C’est pas gagné », soupire Patrick, faussement inquiet. La prochaine cagnotte servira à acheter une voiture d’occasion. Elle évitera à Nicolae et sa famille de parcourir à pied les 10 km qui séparent leur ferme du marché où ils vendent leur fromage. Elle permettra aussi d’aller démarcher la restauration. Nicolae aimerait que 2017 soit l’année du retour auprès des siens, pour de bon. Et pour la suite, il a un nouveau rêve: « Revenir à Saint-Malo, avec famille, pour promener! »

textes : Béatrice ERCKSEN- photos :  Gérard CAZADE

8 commentaires
  1. maud 19 janvier 2017

    Très beau portrait.

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    • bascript89 19 janvier 2017

      Merci Maud. On espère avoir beaucoup d’autres histoires aussi fortes à raconter.

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  2. Laurence-Marie Roger 20 janvier 2017

    Merci de partager ainsi l’histoire de Nicolae, une très belle personne, il a toujours le sourire et un mot gentil quand je le vois… 🙂

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    • bascript89 20 janvier 2017

      Merci d’avoir pris le temps de lire son histoire. Nous espérons en avoir d’aussi belles à vous raconter dans les semaines à venir!

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  3. bourniche 25 janvier 2017

    Oui très belle personne avec qui j’ai eu le plaisir de discuter ..il vous donne toujours un petit bonjour quand vous passez .il ne demande rien en retour même pas une petite pièce mais mois je lui tends la main et un peu de monnaie ce n’est rien mais beaucoup pour lui…!

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    • bascript89 25 janvier 2017

      Nicolae va fêter ses 48 ans le 30 janvier : soyons nombreux à lui souhaiter son anniversaire, ça lui fera plaisir

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  4. babette 26 janvier 2017

    Habitant le quartier Rocabey, je vois souvent ce monsieur et je suis contente de découvrir son histoire grâce a vous, d’avoir un nom, et je ne manquerai pas de lui souhaiter son anniversaire lundi prochain…

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