5 septembre 2025

Guillaume et les demoiselles de la nuit

By In Portrait

Leur vol dessine des figures dans le ciel nocturne de la ville. Elles sortent des fissures des remparts, des caves et des greniers, des parcs des malouinières, des ruines de la Briantais. Le ballet des chauves-souris est un spectacle auquel vous avez peut-être la chance d’assister depuis votre fenêtre ou votre jardin. Ce sont des bestioles uniques -seul mammifère volant au monde-, indispensables à nos forêts et nos fleurs, qui fascinent Guillaume depuis 30 ans. Prêts à les suivre ? Allumez votre frontale, et écoutez le guide…

Si les chauves-souris captivent les chiroptérologues comme Guillaume, elles font toujours peur à beaucoup. C’est vrai qu’elles n’ont pas un physique facile, comme diraient certains. Et puis ce sont des créatures de la nuit et ce qui vit la nuit, les hommes s’en s’ont toujours méfié. Les chauves-souris ont longtemps été perçues comme des créatures du diable dont elles affichent la laideur et les ailes. On les disaient suceuses de sang et jusqu’au Moyen Age, on les clouait sur les portes des granges pour éloigner le mauvais-oeil. Même si elles ne sont plus sacrifiées aujourd’hui, on les pense agressives, attirées par nos cheveux dans lesquels elles s’emmêleraient. Les préjugés ont la vie dure.

Guillaume se bat pour les réhabiliter et les protéger. « J’ai découvert ces animaux un peu par hasard, lorsque je vivais dans le Jura. On m’avait proposé de participer à un comptage dans une grotte qui abritait une colonie de chauves-souris ; j’ai dit oui pour la spéléologie, davantage que pour les chauves-souris que je ne connaissais pas. J’avais 20 ans et ce qui m’intéressait, c’était plutôt les oiseaux. » Et puis…  « Et puis ce drôle d’animal méconnu, mal-aimé m’a intrigué. Plus je me rendais compte qu’on n’en savait pas grand chose, plus il m’intéressait. C’était comme une appétence pour l’inconnu. J’avais envie d’être de celles et de ceux qui permettraient de mieux le connaître pour mieux le protéger. » Guillaume a migré en Bretagne en 2004 sans perdre de vue l’objet de sa fascination. Il a fait de sa passion son métier en devenant chargé d’étude espaces naturels pour le Département d’Ille-et-Vilaine.

Les locales de l’étape

Sur les 36 espèces répertoriées en France, 22 vivent en Bretagne, 18 en bords de Rance, moins de 15 à Saint-Malo. « Question de climat et de ressources alimentaires », dit Guillaume. Parmi les Malouines, on compte des demoiselles aux noms rigolos : la pipistrelle commune -3 à 5 grammes sur la balance-, l’oreillard roux, la barbastelle d’Europe -qui fréquente la Briantais-, le murin à moustaches. Ou le petit et le grand rhinolophe, ce dernier au corps gros comme un pouce et à l’envergure impressionnante, jusqu’à 40 cm. « Victimes de l’activité humaine et de ses impacts, les populations de chauves-souris sont en déclin depuis les années 50. Elles sont toutes protégées en France depuis 1976 : il est interdit de les tuer, de les transporter, de détruire leurs habitats. Certaines espèces, comme le grand rhinolophe, dites d’intérêt communautaire car en déclin général en Europe, font l’objet d’une protection plus stricte que les autres depuis 2000 et se portent un peu mieux. Moins bien protégées, ce sont aujourd’hui les espèces communes qui souffrent. »

Viens chez moi, j’habite chez une copine

En début d’été, les femelles se regroupent pour mettre bas. Car oui, la chauve-souris est un mammifère ! « Elle est même le seul mammifère volant au monde, dit Guillaume. Les femelles recherchent les endroits isolés et chauds -les greniers, l’arrière des murs, les cavités des arbres…- pour donner naissance à un seul petit, une fois par an. La mortalité est élevée la première année, autour de 60 %. Les petits peuvent tomber et être la proie des chats, des rapaces, et même des araignées. La stratégie de reproduction des chiroptères est plus proche de la nôtre que de celle des rongeurs, qui font plein de petits pour que quelques-uns survivent. Les chauves-souris dépensent beaucoup d’énergie pour protéger, alimenter – elles allaitent pendant 4 à 6 semaines- et éduquer leurs petits. Elles s’organisent autour d’une grand-mère ou arrière grand-mère fondatrice de la colonie et apprennent aux jeunes à chasser en les portant jusqu’à ce qu’ils puissent voler, à repérer les couloirs de vol, à s’orienter. On en sait davantage aujourd’hui sur leur système de communication, grâce aux détecteurs-enregistreurs automatiques installés sur leurs trajets. On découvre qu’elles communiquent énormément, par écholocalisation et par des cris sociaux. »

Location saisonnière

« Les chauves-souris occupent des lieux différents selon la saison. Au printemps et pendant l’été, elles font leur vie en ville comme en campagne autour des étangs, en bord de mer, en forêt. Les bords de Rance et leurs massifs boisés, les malouinières avec leurs parcs sont des espaces qu’elles apprécient. Ou la Briantais, avec ses vieux arbres, ses prairies, ses falaises boisées, ses blockhaus, ses vieux bâtiments. En hiver, elles hibernent, comme les marmottes et les ours. Elles ont besoin de températures stables entre 11 et 12°, d’un taux d’humidité important pour que leurs ailes ne sèchent pas, de tranquillité et d’obscurité. Elles logent dans des lieux construits comme les caves, sous les toitures, dans les fissures des remparts -la pipistrelle niche dans les anfractuosités de ceux de Saint-Malo- ou dans les grottes, les terriers. Le site de la Varde est bien fréquenté par les chauves-souris toute l’année, mais pas assez tranquille pour qu’elles y passent l’hiver : elles sont dérangées par les incursions régulières, par les squateurs. Le site d’hibernation le plus important du territoire est la Garde Guérin, à Saint-Briac, avec plus d’une centaine d’éléments. »

Une bonne fourchette

Les chauves-souris utilisent l’écholocalisation pour se déplacer et chasser, en produisant des ultrasons renvoyés par les obstacles et les proies qu’elles peuvent caractériser : elles sont capables d’identifier à distance un moustique, un papillon, un coléoptère…« La plupart émettent les ultrasons par la bouche, comme la pipistrelle. Le rhinolophe émet par son nez en forme de fer à cheval. Il chasse à l’affût, suspendu à un arbre, en scannant son environnement pour détecter les proies. C’est une chasse de précision. La pipistrelle, elle, doit émettre un grand nombre d’ultrasons en volant pour repérer les insectes. » Comme si elle pêchait au filet, et que le grand rhinolophe pêchait à la ligne. Plus fouillis, la pipistrelle ? Peut-être, mais efficace : « ce petit gabarit engloutit jusqu’à 3000 insectes par nuit. » On n’a pas trouvé mieux comme insecticide. Ni plus sain. Ni moins cher.

Petites, mais costaudes

Si elles arrivent à passer leur première année, les chauves-souris de chez nous peuvent vivre une quinzaine d’années. Une longévité qui intrigue et intéresse les chercheurs. Hôte réservoir de nombreux virus, la chauve-souris meurt pourtant peu d’affections virales. Son organisme résiste au vieillissement, aux maladies, aux inflammations. « On a encore plein de choses surprenantes à apprendre sur les chauves-souris, se réjouit Guillaume. Sur leur système de communication et d’écholocalisation. Sur leur ovulation différée : la femelle s’accouple à l’automne, conserve le sperme et ne déclenche la gestation qu’au printemps, lorsque les conditions climatiques sont favorables. »

Mieux qu’un safari

Qu’est-ce que chacun peut faire pour protéger les chauves-souris ? « D’abord prendre conscience de leur rôle essentiel de régulation des populations de ravageurs des cultures et des forêts, voire de pollinisation des fleurs et de dispersion des graines. Penser à elles lorsqu’on rénove, en utilisant des produits de traitement des charpente non toxiques et en ne comblant pas les trous existants dans les murs ou les toitures. Planter des fleurs et plantes les plus diversifiées possibles pour attirer les insectes, et ne pas utiliser d’insecticide. Réduire l’éclairage dans les jardins qui perturbe leur gîte, leurs déplacements et leur chasse. Moi, poursuit Guillaume, j’aimerais bien avoir davantage de temps pour faire des comptages et prospecter au niveau des malouinières et des propriétés privées boisées. J’aimerais faire plus de suivis et de captures nocturnes pour identifier les chauves-souris. C’est chaque fois une ambiance et un cérémonial particuliers que j’apprécie. On n’est pas obligé d’aller faire un safari au Kenya pour découvrir des animaux exceptionnels…»

Texte : Béatrice Ercksen – Photos : © Gérard Cazade sauf mention contraire

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