À Saint-Malo, tout le monde descend ! La gare est un terminus et une destination vacances, et ça change les choses. Yann est le chef de gare heureux de la station corsaire.
Après Saint-Malo, y’a plus rien. Que la mer. Et alors ? « L’ambiance n’est pas la même que dans une gare de transit. Les voyageurs sont plus sereins. Ils ne craignent pas de rater une correspondance, ne courent pas. Les trains sont à quai bien avant leur départ, les gens ont le temps d’y monter. Travailler à Saint-Malo, c’est que du bonheur. » C’est aussi une gare de vacances, où le bruit des roulettes se mêle aux éclats de voix des enfants excités et aux cris des goélands, où les valises multicolores égaient les ciels parfois changeants. « Dès qu’il fait beau et à chaque congé scolaire, c’est la ruée. Les rames sont blindées. En période de grandes marées les touristes débarquent, certains bottes en caoutchouc aux pieds… D’autres arrivent en tenue de plage et se font surprendre par la fraîcheur marine. On les envoie acheter une petite veste intra-muros, avant qu’ils n’attrapent froid… » Le cheminot sait se montrer compatissant.
Multi casquette
Pourquoi devient-on cheminot ? Par goût des voyages ? Par tradition familiale ? Par prestige de l’uniforme ? Par nostalgie des trains électriques de son enfance ? Il y a des tas de raisons possibles. Yann, lui, a postulé à la SNCF « par ras-le-bol de la pluie. J’ai commencé à travailler avec mon père paysagiste. Une année, on s’est pris 8 mois de flotte. Alors j’ai décidé de passer des concours. » Des tas de raisons, on vous dit… « J’ai débuté ici, en 2003, dans l’ancienne gare. J’y ai été chef d’escale, aiguilleur, chef de manœuvre. A l’époque, on emmenait encore les trains d’engrais sur le port. J’ai adoré exercer des métiers différents. » Une escale rennaise et des galons plus tard, le Malouin est revenu sur ses terres, casquette de chef de gare sur la tête. Ça fait quoi au juste, un chef de gare ? « Je suis responsable du bon fonctionnement des gares de Saint-Malo, Combourg, Montreuil et Betton. De la vente des billets et de l’information des usagers à la gestion du budget en passant par le management de mes 21 collaborateurs, la sécurité, la maintenance des équipements, le respect des horaires de nos 25 trains quotidiens. » Et a-t-il ce joli sifflet dans la poche, pour annoncer le départ des trains ? « Ah non, ça, c’est le boulot du chef d’escale. »
Être prêt à tout
Ce qu’il aime par-dessus tout, Yann, c’est le contact. Alors dès qu’il le peut, il quitte son bureau où il passe un peu trop de temps à son goût, direction les quais, paré à répondre à toutes les questions, à faire face à toutes les situations. Car le cheminot doit aussi savoir consoler « les amoureux qui ont du mal à se détacher, des mamans qui accompagnent leur ado qui part en pension, le dimanche soir. On essaie de dédramatiser avec un peu d’humour : « allez, faut le lâcher maintenant. Il va revenir, vous inquiétez pas. Vous verrez, vous allez être bien avec nous, en attendant… » Il doit garder sa bonne humeur en toute occasion , « même quand des voyageurs visiblement habitués à être servis pensent que les agents sont à leur disposition. »
Train-train, vraiment?
Heureusement, la plupart des usagers sont sympa, et le tutoiement finit par s’instaurer entre agents et certains habitués qui se voient tous les jours. Même si c’est parfois un peu plus tendu : « 2018 a été une année difficile. Il y a eu 3 mois de grève, et la voie qui nous a lâchés quelques mois avant sa rénovation. On a dû la refaire entièrement de nuit sur 30 km. Les ralentissements, les retards ont été nombreux, les usagers étaient exaspérés. Aujourd’hui, tout est rentré dans l’ordre », et le train-train a repris sur la ligne la plus fréquentée de Bretagne. Pour pimenter les journées, Yann et ses collègues peuvent toujours compter sur les remarques inspirées des voyageurs : « on nous demande souvent dans quel sens part la rame. Des touristes attirés à Saint-Malo par la publicité sur les plus grandes marées d’Europe ont demandé le remboursement de leurs billets, parce que la mer était trop calme à leur goût… » L’inventaire des objets trouvés dans les rames est également un moment toujours apprécié, une parenthèse surprenante, émouvante ou hilarante, selon la pêche du jour : « les appareils photos, téléphones et valises, même de 40 kg, sont des classiques. Les cadeaux de Noël, fusils de plongée, carnets d’adresses de personnalités sont déjà plus originaux. Et quand on tombe sur un tableau d’un peintre renommé, un sextoy ou une prothèse de jambe, on a gagné le pompon… »
Éloignez-vous de la bordure du quai
Que fait le chef de gare quand il ne travaille pas ? Il prend le train, évidemment, puisqu’il n’habite pas ici. « Avec ma femme et mes enfants, je viens souvent passer la journée à Saint-Malo, qu’on adore. Nous vivons dans une commune située sur la ligne et, l’été, on embarque les affaires de plage et les trottinettes. Par l’avenue de Moka, on file jusqu’à la plage du Sillon, au niveau de la croix. Le plus dur, c’est de reprendre le train en fin de journée. Les soirées ici sont si belles… » dit Yann, un peu rêveur. Pour sûr qu’ une soirée chez les locaux, ça le motive ! « S’il existait un départ plus tardif, on irait manger une galette chez Chantal, intra-muros. Et puis ? « Et puis on regarderait le soleil se coucher adossés au mur, plage de Bonsecours et on rentrerait tranquillement. » En longeant les bateaux du bassin Duguay-Trouin avant, bien sûr de s’éloigner du bord du quai.
texte Béatrice ERCKSEN / photos © Gérard CAZADE
Il est sympa le Chef de Gare. Bien sûr on n’est plus au temps de « La Bête Humaine », mais la « Bataille du Rail » doit continuer pour préserver le Service Public. Merci Monsieur le Chef de Gare.
Quel beau métier passionnant, des responsabilités et des contacts humains.