« J’aime Saint-Malo. J’aime la mer. Dès que j’ai pu, je suis monté sur une planche à voile : gamin, je passais des heures sur l’eau. J’aime l’histoire, aussi. La grande, et celle de ma ville, de ses habitants, de tous ces navires qui accostaient à Saint-Malo, qui sillonnaient la baie et qui parfois, faisaient naufrage. Au bout d’un moment, forcément, j’ai eu envie d’aller voir ce qu’il y avait sous l’eau, de découvrir ces épaves qui avaient certainement des tas de choses à raconter. C’est comme ça que je suis devenu plongeur. »
Quand Emmanuel s’est mis à la plongée, il y a 35 ans, on ne parlait pas beaucoup des fonds malouins. « Personne ne s’y intéressait vraiment. La plongée n’était pas encore un loisir, il fallait presque avoir été commando de marine pour pratiquer! Et puis les gens pensaient qu’il n’y avait rien à voir dans nos eaux. » Alors, à sa première plongée, y avait-il quelque chose à voir? « Je n’ai pas été déçu! J’ai plongé sur l’épave du Fetlar, un petit vapeur anglais gréé en goëlette, qui a talonné près du phare du Jardin en 1919. Il a dérivé et a coulé en se posant droit sur le fond, derrière Cézembre. Il repose à une vingtaine de mètres de la surface, à marée basse. J’ai pu me balader à l’intérieur. Ça a été un moment magique, et le Fetlar reste une des plus belles épaves que j’aie pu voir. Il a coulé un dimanche d’avril. Les Malouins qui se promenaient sur les remparts l’ont vu s’enfoncer doucement, et ont assisté à l’arrivée de l’équipage en chaloupes, sur la plage. Il n’y a pas eu de mort, seulement un dommage collatéral : le naufrage d’un navire granvillais qui a viré pour porter assistance au Fetlar, et qui a tapé un caillou près de la petite Conchée. »
Une épave, c’est donc tout sauf un monde de vide et de silence.« C‘est une bulle dans le temps qui raconte une époque, la vie à bord…En s’y penchant, on tire des fils, et on relie la petite histoire à la grande histoire. »
Côté histoires, on est gâtés à Saint-Malo. La baie est tapissée d’épaves de bateaux, dont beaucoup venaient d’Angleterre. « On peut remercier nos amis Anglais qui ont bien contribué à peupler nos fonds, » sourit le Malouin. On trouve aussi les restes de navires corsaires, comme les frégates du XVIIe la Dauphine et l’Aimable Grenot, découvertes en 1995 sur le banc de la Natière, véritable piège à bateaux, et qui ont fait l’objet de campagnes de fouilles archéologiques par l’ADRAMAR* de 1999 à 2008. « Il reste beaucoup d’épaves à fouiller. Certaines reposent dans les chenaux, il est actuellement impossible d’y accéder. D’autres sont enfouies sous le sable. »
Emmanuel n’a pas voulu garder sa passion pour lui. Il la transmet aux adhérents de Saint-Malo Plongée Emeraude, dont il est président, et aux élèves de 4ème du collège Duguay-Trouin, auxquels il enseigne l’histoire. Le baptême de plongée dans la fosse du centre subaquatique est un prélude à la plongée en mer des ados, sur la roche de Bizeux, un site reconstitué par l’ADRAMAR. Ils seront 128 élèves à le suivre cette année dans les ruelles de Saint-Malo-sous-la-Mer. « C’est comme s’ils plongeaient sur une épave du XVIIe, à seulement quelques mètres de la surface. On a déposé des canons, des ancres, des pierres de ballast, il y a des poissons, ils adorent. Comme on est calés sur le barrage de la Rance, ça change l’étale, on peut plonger 2 ou 3 heures sans problème. » Sans déborder, car on ne plaisante pas en plongée. « A Saint-Malo ou ailleurs, plonger reste une activité à risque. On évolue dans un milieu hostile. Ceci dit, on recense moins d’accidents qu’en ski…Mais il faut être prudent, faire attention aux courants, respecter les paliers. L’avantage de la baie, c’est que la plupart des épaves sont à une vingtaine de mètres sous la surface, ça limite les paliers. Et puis on fait de belles rencontres, comme ces dauphins venus me voir lorsque je plongeais sur le Fetlar. J’ai préféré ça au requin baleine passé au-dessus de ma tête pendant que je faisais un palier, au large des Côtes d’Armor… »
Emmanuel a plongé un peu partout dans le monde, discuté passion avec d’autres plongeurs, et c’est ici, en baie de Saint-Malo, qu’il préfère évoluer. « Quand je dis que je plonge en Bretagne, les gens me disent : ah bon? Y’a des choses à voir? » Oui! L’eau est certes moins claire qu’en Méditerranée, mais les fonds sont beaucoup plus riches, et si l’on évite les eaux troubles de l’été, si l’on plonge en mars-avril, en septembre surtout, et même jusqu’à novembre, le spectacle est superbe : on trouve des vieilles, des tacauds et des congres sur les épaves, des rougets-barbets, des chinchards; on voit des crustacés qu’il n’y a pas ailleurs, des crabes, des homards et même des langoustes qui font leur réapparition, parmi les algues aux couleurs variées. On se croirait dans un aquarium. »
Et le graal du plongeur malouin, ça serait quoi? « La découverte d’une épave antique! Pour qu’il y ait naufrage, il faut beaucoup de trafic maritime et une zone dangereuse. Dans l’Antiquité, le trafic était intense ici, avec Alet et la Rance, puisque les navires remontaient presque jusqu’à Dinan. Les courants, les rochers, on les a. Donc il y a des épaves, c’est certain, sous des couches de sable et de limon. On n’a pas d’archives de cette époque, on ne sait pas quoi et où chercher; si on découvre quelque chose, ce sera fortuitement. Mais ça arrivera, et là…«
textes Béatrice ERCKSEN / photos © Gérard CAZADE
* ADRAMAR : Association pour le Développement de la Recherche en Archéologie Maritime
Le parcours proposé aux élèves de Duguay-Trouin se fait dans le cadre de l’approche transversale pour l’apprentissage des compétences. Emmanuel travaille avec ses collègues enseignants de sciences physiques et sciences et vie de la terre. Outre la plongée en bouteille, la formation comprend la visite de la malouinière de la Ville-Bague, des ateliers avec l’ADRAMAR et une randonnée palmée devant Cézembre.
Pour plonger sur les épaves, Saint-Malo Plongée Emeraude
Roche de Bizeux : latitude 48°37.728′ N longitude 02°01.598′ O
« Les trésors engloutis de la baie de Saint-Malo« , Emmanuel Feige, Editions Cristel