Il était une fois un petit Malouin qui se rêvait en artiste de cirque. Des rêves profonds, constants, incontournables. Rien pourtant ne prédisposait le jeune Malo, fils d’un policier et d’une fleuriste, à cette vie particulière. Rien si ce n’est, peut-être, les gènes d’une arrière-grand-mère espagnole artiste de cirque…« Lorsque j’avais 6 ou 7 ans et que je n’avais pas école, le cirque s’installait dans ma chambre, raconte Malo. Je posais la toile d’un chapiteau découpée dans une taie d’oreiller sur des bouts de bois coincés entre les lattes du parquet J’avais même fabriqué ma ménagerie. »
Malo a grandi en même temps que sa passion : « je créais des spectacles dans le jardin, que je faisais payer », sourit-il. C’était de la monnaie de singe, bien sûr, mais fallait bien faire comme les grands. Quand on lui demande ce qu’il ferait plus tard, il répond avec des étoiles dans les yeux : « je ferai Bario ». Les Bario était une famille de clowns qu’il a découverts un jour que ses parents l’avaient emmené au cirque. Il les considère encore aujourd’hui comme « les meilleurs clowns du monde. »
« J’ai toujours su que je réussirai à faire du cirque », dit Malo, mais bon, les routes ne sont pas toujours très droites, et pas toujours conseillées. Pour certains membres de sa famille, artiste de cirque n’est pas un métier. Saltimbanque ? Pff…Un truc de rêveur, de bon à rien. Alors Malo a intégré les Arts décoratifs. « J’ai travaillé dans la création publicitaire. J’ai même occupé un poste de dessinateur au ministère de l’Intérieur. » Le Malouin a accompli sa tâche avec sérieux. Consciencieusement. Lucidement, c’est-à-dire sans rien lâcher de l’essentiel, de son désir, de son besoin. On a une âme chevillée au corps ou on n’en a pas. Avec deux copains, il crée un trio de clowns, le Rio’s trio. Ils jouent ici et là, le soir, après la journée de boulot. De quoi lui donner envie d’aller plus loin. Alors, Malo décide d’aller frapper à la porte des professionnels de sa vie rêvée, sa vraie vie, la vie d’artiste. Et tant qu’à faire, puisqu’il veut prendre le grand tournant de sa vie, il choisit une grande porte : celle du cirque d’hiver Bouglione.
Malo se souvient comme si c’était hier de sa rencontre avec « Monsieur Joseph », le patriarche. « J’étais allé le voir au flan, se souvient-il. J’avais la passion du cirque, mais je n’étais pas issu de ce monde. Je revois Monsieur Joseph devant moi, le visage fermé. Il était très impressionnant. J’ai parlé, parlé, j’ai sorti les photos de notre numéro. Il me regardait sans dire un mot. Alors je me suis levé, je me suis excusé de l’avoir dérangé et je suis parti. J’ai entendu « Petit ! » Je me suis retourné. Il m’a dit : « tu fais ton numéro mercredi. Tu ne seras pas payé. On verra. » Le mercredi, on avait une trouille pas possible. On s’est même trompé dans notre numéro, mais comme personne ne le connaissait, ça ne s’est pas vu. Après le spectacle, Monsieur Joseph m’a dit : « vous commencez samedi ».
Malo fait son entrée dans la famille des circassiens. Enfin. Il est clown, d’abord certains soirs, puis à temps plein. Il se produit chez Willie Zavatta, Christine Gruss, David Chipperfield, sillonne la France et l’Europe. Il va même diriger son propre cirque pendant 10 ans, le Breizh Malo Circus et le monter ému à Saint-Malo, un jour d’été, sur la place de la Résistance. Pile devant la maison familiale. « Mon père était décédé. J’aurais pourtant bien aimé qu’il voie ça », regrette Malo. Ses parents ont-ils été heureux de son choix de vie ? « Je ne sais pas. Chez nous, on ne s’épanchait pas. Ils ne m’ont jamais dit s’ils étaient fiers de ce que je faisais. Mais ils sont venus quelquefois me voir en spectacle. Pour ma première télé ils étaient là, dans le public, sans m’avoir prévenu. Je ressentais quelque chose de bizarre pendant le spectacle. Et soudain je les ai vus à une table. Ça m’a fait drôle et chaud au coeur. »



À 77 ans, Malo est toujours en piste. Il a levé le pied mais dès qu’il en a l’occasion, il endosse son habit de clown et assure le spectacle. « Si je n’avais pas ça, je serai en fin de vie », assure-t-il. Cet après-midi du début août, il est en scène à Saint-Malo avec les artistes du cirque Joy Dassonnevile. Comme tous les jours (sauf le dimanche) depuis le 15 juillet, et jusqu’au 23 août. Pour la deuxième année, la famille Dassonneville, « circassienne depuis 8 générations », a pris ses quartiers d’été à la Découverte. Josué, son épouse, leurs trois fils, leur belle-fille bientôt maman, une cousine et le père de Josué ont dressé le chapiteau sur le parking d’Intermarché. Une pause appréciée, à l’heure où « trouver un emplacement est de plus en plus compliqué, déplore Josué. Les cirques ne sont plus les bienvenus dans les communes. Pourtant, quand on voit le sourire des gens quand ils sortent du chapiteau, on se dit que le cirque devrait être mieux considéré. On apporte du bonheur à toutes les générations. »
« C’est un cirque qui me tient à coeur, poursuit Malo, qui a facilité l’accueil des Dassonneville à Saint-Malo. J’ai travaillé chez le père de Josué qui a dirigé le Grand cirque de l’Est et Fratellini. C’est quelqu’un de très humain dont je suis resté proche, comme je le suis de son fils et de ses petits-enfants. Avec eux, c’est le vrai cirque qui continue à vivre. Celui des beaux numéros, loin de l’esbroufe. Ici, il n’y a pas de triche. Ils s’entraînent dur tous les jours pour proposer des numéros d’une qualité supérieure à celle de certains cirques plus importants. »



49 ans après son premier numéro professionnel, la passion de Malo pour le cirque est intacte. « J’aime son esprit, ses odeurs, ses couleurs, son parler. Dès que j’entre dans ma loge, je suis chez moi. C’est que du bonheur. » Malo a concrétisé son rêve d’enfant, et réussi à vivre de sa passion. « Combien de personnes peuvent en dire autant ? J’ai même réalisé un de mes rêves les plus fous : jouer avec les Bario ! J’ai été le dernier partenaire Auguste d’Henny Bario. »


Le « p’tit gars d’Saint-Malo » n’en a pas fini avec les rêves. « Si je le pouvais, j’achèterais une caravane et je repartirais sur les routes. Saint-Malo est mon port d’attache, j’y reviens toujours, mais au bout d’un moment je ressens le besoin de partir. » Où irait-il ? « La famille du cirque est grande et généreuse, il y aura toujours de la place pour moi. » « Si tu le veux, tu pourras venir mourir chez nous », dit Josué en souriant. Une plaisanterie ? Qui sait…Chez les circassiens, on n’abandonne pas une âme à la solitude ou aux maisons de retraite. On la fait vivre. Avec Malo, les Dassonneville n’ont pas fini de rire.

Texte : Béatrice Ercksen Photos : © Gérard Cazade
Spectacles du cirque Joy Dassonneville tous les jours à 18h, et à 11h les mardi et jeudi jusqu’au 23 août 2025. Relâche le dimanche.
La famille Dassonneville : Jessy, 10 ans, équilibriste et clown, Even au rolla-rolla, Joy à la jonglerie, Alix au trapèze et à la corde aérienne, Josué en Monsieur Loyal sous l’oeil de leur père et grand-père, Cino.
Malo a créé le Festival international di cirque de Bretagne, qui fêtera ses 25 ans le 12 octobre 2025. Spectacle à 15h30 à l’hippodrome de Saint-Malo.
Malo a également créé l’école du cirque à Saint-Malo, avec une section handicirque depuis 2023.