Derrière la piscine de Bonsecours serpente un mur qui ne se dévoile qu’à marée basse. Il est l ‘œuvre d’Allain. Bâti avec les cailloux de la plage, percé en son milieu par un conduit d’évacuation, ce barrage qui vit au rythme des marées accueille et abrite les bébés de la mer. Bienvenue dans la première crèche maritime malouine.
« Comme tous les gamins, j’aimais construire des barrages en sable, sur la plage, mais ça m’embêtait vraiment qu’ils soient détruits par la marée. Un jour, vers 14 ou 15 ans, j’ai décidé de les monter avec des pierres. Je prévoyais toujours une évacuation, pour avoir le plaisir de regarder l’eau s’écouler en tourbillonnant. Ça me plaisait bien de retrouver mon ouvrage le lendemain. Je l’inspectais pour évaluer les dégâts, et je remplaçais les pierres emportées. Je trouvais toujours des assistants pour m’aider à chercher et transporter les cailloux. »
L’attente
Allain a grandi, a étudié, a appris un métier -d’ingénieur, quoi d’autre ?- Il a travaillé dans la banque, dans les assurances, pour terminer sa carrière en enseignant les maths. Il a dû dire au revoir, en grandissant, aux constructions extraordinaires qu’il imaginait à Bonsecours, mais il a continué à passer ses vacances à Saint-Malo, chez ses grands-parents ou dans une location saisonnière, puis dans l’appartement acheté par ses parents il y a 50 ans, au-dessus de la plage. « Nous ne vivions pas ici ; j’attendais les vacances avec impatience, pour retrouver Saint-Malo. Pendant très longtemps, à cause d’une querelle familiale, je n’ai pu profiter de l’appartement qu’une semaine par an. Une semaine, ce n’est rien ! Si vous saviez comme je les espérais, ces 7 jours… »
Un barrage en hommage
En 2008, Allain récupère le logement. Il perd aussi, en 2 mois, sa mère et ses tantes. « C’est en me promenant sur cette plage qui me les rappelait tant que j’ai eu l’envie de construire un barrage, comme un hommage, pour les remercier de m’avoir fait connaître Saint-Malo. » Pendant 7 ans, pierre par pierre, Allain va construire son mur, en recherchant à longueur de plage les cailloux qui s’emboîtent comme il faut. « J’en ai récupéré des milliers ! Vous voyez cet espace sableux devant le barrage ? Il était plein de cailloux. Aujourd’hui qu’il est dégagé, les jeunes viennent y jouer au foot : c’est le seul endroit plat de la plage ! »
La nurserie de la mer
Le résultat, c’est un petit mur dont la hauteur varie de 40 cm à 1 m, large de 50 cm à 1,50m, et qui s’étend sur 70 m de long. La mer aime jouer avec. Et lui confie petits poissons, crabes, crevettes, étoiles de mer… « Lorsque je l’ai construit, je n’avais pas imaginé qu’il deviendrait un refuge. Je m’en suis aperçu il y a 5 ans, lorsque j’ai vu une quenouille qui pendait du conduit d’évacuation. Je suis allé au Grand Aquarium demander ce que ça pouvait être, on m’a dit qu’il s’agissait de la ponte d’une femelle calmar. Depuis, chaque printemps, j’y découvre des œufs. Mon barrage est devenu nurserie, et j’en suis très heureux. Je me suis dit que je n’avais pas perdu mon temps .» Le mur n’est pas une prison. Au contraire. « En cas de danger, les petits se réfugient entre les pierres. Le conduit d’évacuation leur permet de sortir de la nurserie. » Car Allain tient à le souligner, « ce n’est surtout pas une pêcherie ! Les espèces sont abritées, pas retenues. » Des maquereaux d’une dizaine de centimètres viennent y faire des ronds dans l’eau. Sous les cailloux se cachent des crabes d’un centimètre. On y voit des étoiles de mer minuscules, rouge foncé, aux bras ébauchés. Les cailloux se hérissent de petites algues en formation, qui leur font une drôle de chevelure en brosse.
Un mur expérimental
Le mur attire les curieux, bien sûr, surtout pendant les vacances d’été. « Quand je les vois déplacer les pierres, je leur explique à quoi sert le barrage. Ils écoutent, comprennent, approuvent. » Tous ou presque. « Alors que je lui avais dit que le mur n’était ni une construction cimentée, ni une pêcherie, un pêcheur à pied m’a dénoncé aux Affaires maritimes. Un agent est venu me voir et on a discuté. Il a vite compris que je ne contrevenais pas à la loi littoral, et que je ne pêchais pas. Et comme il trouvait ma démarche intéressante, il m’a conseillé, pour être dans les règles, de déposer un dossier expliquant la finalité du mur. Ce que j’ai fait. » Voilà comment l’ouvrage souvenir est devenu, officiellement, une expérimentation du futur.
Un mur à partager
Tous les 15 jours, à marée basse, Allain inspecte et répare son mur. Chaussé de bottes, muni d’un grattoir, il dégage le conduit d’évacuation parfois obstrué par les algues, remet en place les cailloux déplacés par la mer. Un travail qu’il apprécie, mais qu’il aimerait partager : « j’aimerais bien pouvoir compter sur quelques Malouins pour me donner un coup de main, venir inspecter le mur quand je ne suis pas là. On pourrait peut-être aussi imaginer des activités autour de ce barrage, accueillir des classes… »
On peut joindre Allain par mail à l’adresse allain.fiquemont@orange.fr. Avis aux amoureux de la mer !
texte Béatrice ERCKSEN / photos © Gérard CAZADE
Lorsqu’il n’est pas dans sa nurserie, Allain aime faire naviguer dans la piscine de Bon Secours les bateaux de guerre, des maquettes pour étagère, qu’il monte, motorise, et met à l’eau. « C’est un site idéal s’il n’y a pas de vent. J’appréhende toujours la première navigation. Parce que l’eau ne doit pas pénétrer dans le bateau : électronique, cuivre et eau, salée qui plus est, ne font pas bon ménage. Mes maquettes sont basses sur l’eau et ne sont pas prévues pour naviguer, pas plus qu’elles ne sont conçues pour être motorisées. C’est tout l’intérêt de la chose. »
Bravo à Allain! C’est une construction poétique.
Nous sommes bien d’accord Vincent. C’est ce qui nous a touchés dans sa démarche
Béa et Gérard
Belle histoire que celle d’Allain , malouin passionné par les cailloux de sa plage , constructeur respectueux de l’ espace maritime . Merci de nous l’avoir racontée .
Yves
Bonjour Yves, l’histoire d’Allain a touché beaucoup de lecteurs
Il a reçu des encouragements, des félicitations, et commence à avoir des volontaires pour l’aider à entretenir son mur. Nous sommes ravis de l’avoir aidé à faire connaitre sa démarche. Bonne journée Yves, on espère que vous allez bien
Avec la passion et la ténacité de personnes comme Allain, tout est possible! Bravo