12 août 2017

Les jeunes grognards de Saint-Malo

By In Portrait

Le bagad Quic-en-Groigne tient son nom d’une remontrance de la duchesse Anne, qui avait bien perçu l’attachement ombrageux des Malouins à leur indépendance. Il n’a pas l’âge de la duchesse, il n’est pas un acharné de la tradition, et il aime montrer que la musique et la danse bretonnes, versions malouines, peuvent être modernes et contemporaines. Ce sont ses jeunes pousses qui en parlent le mieux. Ecoutons-les.

Ce qu’en disent les plus jeunes

Emy, 13 ans, danseuse du cercle « Toute petite, je regardais le défilé des danseurs, dans les rues, en me disant qu’un jour, moi aussi je le ferai. J’étais fascinée. Et c‘est arrivé. Je n’en parle pas trop au collège, ça fait sourire, et même rire certains pour qui la danse bretonne, c’est pour les vieux. J’ai appris à danser au cerclig, l’école de formation. Le jour où on m’a dit que j’étais capable d’intégrer le cercle, j’ai eu un pincement au coeur : j‘allais danser avec les adultes que je regardais avec admiration, les meilleurs, ceux qui participent aux concours. Ma première scène a été stressante, et en même temps géniale. Et puis on apprend à gérer le stress. Les encouragements des spectateurs nous portent et sont importants. Certains publics sont difficiles, on les connait. A Saint-Malo, on est chez nous, les gens sont chaleureux. »

Samuel, 17 ans, joueur de cornemuse écossaise « J’adore la musique celtique et les airs traditionnels. Quand j’étais petit, j’ai assisté à un concert de cornemuse : j’en ai adoré le son, j’avais trouvé l’instrument que je voulais pratiquer. J’ai commencé avec le bagad de la Richardais, puis j’ai intégré le bagadig -l’école de formation- de Quic-en-Groigne, avec lequel j’ai participé aux concours de 4ème catégorie. J’y ai appris à gérer le stress, à jouer en formation. Je me souviens de mon émotion, le jour où on m’a dit « t’es prêt, tu peux intégrer le bagad ». J’aime bien jouer dans les pipe bands, mais le bagad, c’est l’identité bretonne, c’est encore meilleur. En plus, on joue en 1ère catégorie, l’élite. Nos compositions sont superbes, elles me portent. Elles mêlent airs traditionnels, collectés par les anciens, et influences diverses : jazz, folk, musiques du monde…le tout retravaillé à la sauce malouine. Ça m’a donné envie d‘aller plus loin : avec d’autres jeunes du bagad, on a créé un groupe avec bombarde,cornemuse, guitare, et bientôt percu. On joue des airs traditionnels, avec nos arrangements. La cornemuse, c’est une de mes passions. L’autre, c’est la photographie aérienne. Je sais, j’ai des passions pas banales… »

Mona, 17 ans, danseuse du cercle« Quic-en-Groigne? Danseurs ou musiciens, toute ma famille en fait partie. Je nage dedans depuis que je suis née ou presque, j’ai commencé la danse à 3 ans. Je suis devenue membre du cercle à 12 ans, ça a été un grand moment : évoluer en 1ère catégorie, faire partie des meilleurs danseurs de Bretagne, ça fait quelque chose. Quand on danse, on ne fait qu’un : tout le monde est dedans. On est portés par la musique du bagag, et c’est un peu comme si on entrait en transe! Le plus difficile à mes yeux, quand on fait partie d’un cercle, ce n’est pas l’apprentissage des chorégraphies, les répétitions chaque semaine et un week-end entier par mois, mais l’effort qu’il faut faire pour avoir toujours une bonne tenue du corps, pour sourire, pour bien placer ses bras…On n’a pas droit au relâchement. Ce que je fais quand je ne danse pas? Je vois mes amis, et je monte à cheval.« 

Mathis, 17 ans, percussionniste« Je n’ai intégré Quic-en-Groigne qu’il y a 2 ans. Avant, j’étais au conservatoire. J’y ai acquis de solides bases, mais je n’y trouvais pas mon compte : j’avais besoin de jouer avec un groupe, de ressentir des émotions. Ici, j’ai découvert un collectif uni par une musique aux multiples influences. Quic-en-Groigne est une grande famille. Il vaut mieux, parce qu’on passe beaucoup de temps ensemble : on répète une fois par semaine par pupitre, deux fois par mois tous ensemble, et tous les jours avant un concours! C’est une sacrée pression de préparer un concours, mais ça nous pousse, ça oblige à se dépasser. Pour déstresser, je joue du piano, de la guitare, j’écoute du jazz, je fais du sport, je cuisine : j’ai choisi d’en faire mon métier, je suis au lycée hôtelier. »

Ce qu’en disent les moins jeunes

Karl, responsable du cercle – « Je suis toujours épaté de voir des p’tites nanas comme Emy et Mona passer des soirées entières à répéter, jusqu’à minuit ou 1 heure du mat, sacrifier leurs week-ends, se soumettre à une discipline de fer. Ça prouve qu’elles se sentent bien dans le groupe, dans la famille de Quic-en-Groigne, et que les danses qu’elles apprennent leur plaisent vraiment. Il faut dire que les chorégraphies des cercles sont d’une richesse et d’une modernité incroyables, tout en valorisant la tradition. C’est aussi ça qui attire ces ados.« 

Gildas, penn sonneur – « Moi, je suis né dans le groupe, mes parents en faisaient partie. Ils m’ont transmis l’amour de la musique et l’état d’esprit Quic-en-Groigne. J’ai commencé en 1989 comme sonneur de bombarde, je suis maintenant penn sonneur. Alors évidemment, l’arrivée de jeunes, ça me parle. On assure ainsi la transmission de la musique et du savoir, et la pérennité du groupe. On a recruté des musiciens comme Samuel et Mathis, sur lesquels on mise beaucoup. Ils amènent leur fougue et leur allant, et nous, les anciens, on va dire qu’on a de la bouteille et une forme de sagesse…On a tous en commun l’amour de la musique traditionnelle, un haut degré d’exigence et la volonté de faire évoluer nos compositions. En mêlant musique traditionnelle et différents genres musicaux, en intégrant des instruments nouveaux, en osant des harmonies, en jouant avec des instruments plus justes, au timbre plus intéressant, on obtient des morceaux extraordinaires. L’image des bagadoù n’est plus ringarde, vieillotte, elle séduit le public et les jeunes musiciens. »

© Gérard CAZADE

Didier, sonneur « J’ai sonné avec le père de Gildas, puis avec le fils. Quand il est entré au bagad, en 89, c’était moi le penn sonneur, je lui ai passé le flambeau. Je jouerai peut-être avec ses enfants, qui sait? Ce qui est bien avec la musique bretonne, c’est que chaque musicien peut y trouver son compte, tenant de la tradition comme passionné d’influences d’ailleurs.« 

textes Béatrice ERCKSEN / photos © Gérard CAZADE

Petit aparté pour nos lecteurs peu au fait du vocabulaire breton :

bagad vient du latin baca, troupe, bande. Le breton s’est enrichi naturellement des langues continentales, gaulois et langues romanes (voir Dictionnaire historique du français, de Alain Rey, Marianne Tomi, Tristan Hordé, Chantal Tanet).

La plupart des bagadoù -pluriel de bagad- sous la forme qu’on leur connaît, inspirés en partie des pipe bands écossais, sont nés au milieu du siècle dernier.

Le bagad est un ensemble de musique bretonne composé de 4 pupitres : cornemuse écossaise, bombarde, caisse claire et percussions. Sur scène, de plus en plus, d’autres instruments se mêlent aux pupitres traditionnels -piano, saxophone…- et participent au renouveau, au dynamisme et à la modernité de la musique bretonne. Le groupe formé par les danseurs s’appelle un cercle.

Les bagadoù sont classés en 5 catégories -5 étant la plus basse- , classement réalisé à l’issue des concours de la confédération Sonerion. Le bagad Quic-en-Groigne, créé en 1951, évolue en 1ère catégorie. Le cercle Quic-en-Groigne évolue également en 1ère catégorie de la confédération War’l Leur, et a décroché plusieurs titres de champion de Bretagne. En plus du bagad et du cercle, Quic-en-Groigne compte un orchestre, un bagadig, un cerclig, un atelier couture, un groupe de danse enfants et un cercle de danse loisirs ouvert à tous.

Un sonneur (soner en breton, sonnou en gallo) est un joueur de bombarde ou de biniou. Le penn sonneur est le chef des sonneurs.

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3 commentaires
  1. Gérard 24 août 2017

    SAMUEL l’a bien résumé:

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  2. Gérard 24 août 2017

    Samuel l’a bien résumé, le bagad c’est l’identité bretonne.

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  3. Alain Stéphan 11 avril 2019

    Quoi ! je n’avais pas lu cet article ! Dois-je avouer moi l’immigré de deuxième génération, le petit-beurre salé , que je ne suis pas fan du son de la bombarde mais que quand j’entends la musique bretonne, bien évidemment, je danserai presque (et alors même les goélands se marrent ! ).
    Comme toujours bel article avec des interviews sensibles et de belles photos de mon copain.

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